Bilan

2013 : stupeur et tremblements

Le Virgin Megastore des Champs-Elysées, fermé en juin. - Photo Photo Olivier Dion

2013 : stupeur et tremblements

Les faillites successives de Virgin et de Chapitre, associées à une nouvelle contraction des ventes de livres et aux doutes sur le renouvellement du lectorat, donnent l’image d’un secteur sur la défensive. Pourtant, pendant le grand chambardement qui a marqué 2013, dans l’édition et la librairie comme en bibliothèque, ont aussi été posés plusieurs germes d’une réorientation et d’une relance de l’activité.

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Par Fabrice Piault, Hervé Hugueny, Véronique Heurtematte, Clarisse Normand
Créé le 12.12.2013 à 23h25 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

A quinze jours de la fin de l’année, le bilan de 2013 se dessine déjà. Sur le plan des ventes, et même si la période des fêtes se présente plutôt bien dans les librairies, l’affaire est entendue : le retour à la croissance attendra encore un peu. A la fin de septembre, la tendance annuelle de l’activité, comme le cumul exercice depuis janvier, se situait à - 1 % en euros courants, d’après nos données Livres Hebdo/I+C, dans le prolongement des contre-performances des années 2010 (- 0,5 %), 2011 (- 1 %) et 2012 (- 1,5 %). Le tassement reste pourtant modeste, puisque l’ensemble du commerce de détail, tous produits confondus, recule, lui, de 2,1 % depuis janvier et de 2,3 % en tendance annuelle. Ouf ! Mais au fil des mois s’est aussi imposée l’idée que le marché du livre se trouvait confronté à une conjonction spécifique, multifactorielle, que des chiffres au demeurant pas dramatiques ne pouvaient suffire à analyser.

 

 

Remise en cause des modèles

 

La crise économique et la morosité des ménages qui l’accompagne, en affectant directement la consommation, ont joué leur rôle dans les faillites de Virgin, au début de l’année, puis de Chapitre ce mois-ci (1), les deux événements majeurs de 2013. Mais si ces dernières ont frappé de stupeur un secteur qui, au fond, s’y attendait, c’est qu’elles sont venues confirmer qu’elles découlaient d’abord d’erreurs stratégiques que le marché, fragilisé, ne pouvait plus pardonner. Chacune à sa manière, les deux chaînes ont vu leur modèle économique remis en cause. Au-delà de son retard dans le domaine numérique, Virgin a souffert d’une redéfinition insuffisante de son identité et de son projet après l’effondrement du marché de la musique auquel elle était structurellement liée. Pour sa part, Chapitre s’est lancée dans une course à la centralisation qui, loin de valoriser les atouts de ses magasins, les a le plus souvent vidés de leur substance. Ces deux échecs ont aussi fait apparaître que la France, en dépit de son contexte réglementaire spécifique, faisait face, dans le domaine du livre, aux mêmes défis que les autres pays où l’on a assisté, ces dernières années, entre autres, aux faillites de Borders aux Etats-Unis ou de Red Group en Australie. Et que si le numérique (moins de 5 % des ventes en exemplaires en littérature générale ; moins de 2 % du chiffre d’affaires de l’ensemble de l’édition) avait sa place dans l’aggiornamento en cours, il n’en constituait qu’un des volets.

 

 

Une année de décantation

 

Peu à peu se relient les tendances lourdes à l’œuvre depuis plusieurs années : le recul continu du noyau de gros lecteurs mis en lumière par les enquêtes récurrentes du ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français, et qui, privant éditeurs et libraires de leur matelas de clients fidèles, les oblige désormais à déployer pour chaque livre des trésors de séduction ; la dilution de la lecture dans les pratiques culturelles des jeunes pour qui aujourd’hui les livres, comme les antibiotiques, « c’est pas automatique » ; la transformation des habitudes de consommation dont témoigne en particulier l’essor régulier du commerce en ligne, qui pèse aujourd’hui quelque 14 à 15 % du marché du livre dans l’Hexagone. Plutôt qu’une année de crise, 2013 se révèle comme une année de décantation. Tandis que l’à-peu-près ne pardonne plus, toutes les stratégies sont repassées au crible.

Dans l’édition, alors qu’Actes Sud a absorbé Payot-Rivages, l’année a été marquée par l’émergence du nouveau groupe Madrigall, au sein duquel des passerelles entre ses deux pôles, Gallimard et Flammarion, ont été établies, avec des directions opérationnelles transversales, notamment pour les fonctions support. Chez Hachette, qui tire bien son épingle du jeu grâce aux succès de Lattès et au nouvel Astérix, des ajustements ont été décidés, comme en particulier la mise en place de directions distinctes pour Grasset et Fayard. Editis se réorganise également en littérature générale avec la restructuration de Laffont et l’émergence du nouveau pôle Edi 8, comprenant à la fois First-Gründ et Plon-Perrin. Au-delà, la qualité de la production et de l’objet livre, son adéquation à la demande dans un contexte numérique où le papier doit faire chaque fois la démonstration de ses avantages, sont au cœur de la réflexion des éditeurs, en recherche de relais de croissance dans l’univers physique comme numérique.

 

 

Stratégies de reconquête

 

Des stratégies de reconquête émergent aussi parmi les réseaux de vente. Certes, l’avenir de la Fnac, en pleine révision de son modèle avec une ouverture à l’électroménager et un développement de magasins franchisés, combinés à des économies drastiques, est encore un point d’interrogation. Les hypermarchés font aussi face à des défis qui dépassent largement les enjeux spécifiques au livre. Mais parmi les grandes surfaces culturelles, Cultura, Furet du Nord ou encore les Espace culturel Leclerc affichent une santé qui tranche avec le bilan de Virgin ou de Chapitre. Surtout, confortées par les mesures gouvernementales arrêtées cette année (voir ci-contre et page suivante), les plus grandes librairies indépendantes relèvent la tête. Gibert Joseph a acquis le Virgin Megastore de Barbès, à Paris. La Maison du livre (Rodez) a repris Chapitre-Privat à Toulouse. Plusieurs Chapitre seront repris par leurs cadres ou des libraires indépendants. Il n’y a plus qu’à espérer que ce grand tremblement permette de repenser le livre et sa mise en valeur devant une clientèle plus papillonnante que jamais.

F. P.

(1) Voir « Chapitre : pour qui ces 52 librairies ? » et « Chronique d’un échec annoncé » dans LH 977, du 6.12.2013, p. 12-15.

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