"Près de trois quarts des bénéfices d'Amazon n'étaient pas imposés. En d'autres termes, Amazon a pu payer quatre fois moins d'impôts que d'autres sociétés locales soumises aux mêmes règles fiscales" déclare Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la concurrence, à l'origine de l'enquête ayant abouti à cette décision.
Un montage financier modifié il y a trois ans
"Au terme d'une enquête approfondie ouverte en octobre 2014, la Commission a conclu qu'une décision fiscale anticipative émise par le Luxembourg en 2003, et reconduite en 2011, a réduit l'impôt payé par Amazon au Luxembourg, et ce sans aucune justification valable" explique le communiqué de la Commission, qui détaille le montage mis en place par le groupe américain. Ce montage a été modifié en mai 2014.
Amazon EU encaissait les achats effectués par tous les clients européens, et les marges afférentes. Normalement soumise à l'impôt sur les sociétés établies au Luxembourg, cette entreprise reversait chaque année plusieurs centaines de millions d'euros à Amazon Europe Holding Technologies, pour l'exploitation de brevets développés par la maison mère américaine, et concernant la technologie propre au groupe (algorithmes de logistique, gestion des stocks, relation clients, etc.).
Coquille vide
"Le niveau de la redevance versée par la société d'exploitation à la société holding était excessif et ne correspondait pas à la réalité économique" affirme la Commission. Le versement de ces droits visait à transférer les bénéfices de la société d'exploitation vers cette holding, une coquille vide sans salariés ni bureaux dont le statut lui permettait de ne pas payer d'impôts, en accord avec le Luxembourg.
"Ces paiements dépassaient, en moyenne, 90 % des bénéfices d'exploitation de la société d'exploitation. Ils étaient sensiblement supérieurs (1,5 fois) à ce que la société holding devait payer à Amazon aux États-Unis" précise la Commission, ajoutant que ladite holding ne pouvait exercer "la moindre activité de nature à justifier le niveau de la redevance qu'elle percevait". Les adaptations nécessaires des brevets étaient réalisées par la société d'exploitation.
Sur la période enquêtée, l'avantage indu "est estimé à quelque 250 millions d'euros, auquel s'ajoutent les intérêts. Les autorités fiscales luxembourgeoises doivent maintenant déterminer le montant exact des impôts non payés au Luxembourg, sur la base de la méthodologie établie dans la décision". La réglementation de l'Union européenne ne prévoit pas d'amende en cas d'aide d'Etat illégale. La récupération des avantages accordés "sert simplement à rétablir l'égalité de traitement avec les autres entreprises".
Le Luxembourg pointé du doigt
"Le Luxembourg estime qu'il n'a pas fait bénéficier la société [Amazon] d’une aide d'Etat incompatible avec le marché intérieur au sens de l'article 107(1) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne" répond le gouvernement luxembourgeois dans un communiqué publié le même jour, ajoutant qu'il analysera la décision avec "la diligence requise et réserve tous ses droits". Le Luxembourg avait approuvé cet arrangement lorsque Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission européenne, en était le premier ministre.
"Nous estimons qu’Amazon n’a pas reçu de traitement de faveur du Luxembourg et que nous nous sommes acquittés des taxes requises en parfaite conformité avec les lois luxembourgeoises et internationales. Nous allons étudier la décision de la Commission et examiner nos recours juridiques, y compris l’appel" annonce pour sa part Amazon, dans un communiqué publié aussi ce 4 octobre.
Amazon a effectivement modifié l'organisation de ses sociétés au Luxembourg. La holding qui avait accumulé 2,3 milliards d'euros de droits, sans impôt, a été fusionnée avec une de ses filiales, qui déclare 163 salariés à son bilan 2016. La trésorerie de l'ancienne société ne se retrouve pas dans le nouvel ensemble.
En France, où Amazon fait l'objet d'un redressement fiscal de 196 millions d'euros, l'organisation a également été modifiée. Une des principales filiales locales du groupe américain a été transformée en succursale de la société d'exploitation luxembourgeoise, et ne publie de fait plus aucun compte.