Presque inconnu en France au moment où lui a été attribué, en 2021, le prix Nobel de littérature, Abdulrazak Gurnah est bien plus renommé dans le monde anglo-saxon. Anglophone, il écrit en anglais, vit à Londres depuis le début des années 1960, comme Rashid, l'un de ses héros qui a fui opportunément, afin de terminer ses études, son pays natal la Tanzanie, en proie en 1963, à l'approche et dès le début de son indépendance, à une succession d'émeutes, de massacres, de coups d'État. Comme Rashid, à qui son père avait conseillé de ne pas rentrer chez lui, un crève-cœur, Gurnah a fait sa vie au Royaume-Uni, professeur de littérature à l'université du Kent à Canterbury. Sa spécialité, la littérature postcoloniale. Le contexte colonial est d'ailleurs très présent dans Adieu Zanzibar, en VO Desertion, un titre qui donne au roman (paru à l'origine en 2005) une tonalité plus dramatique.
Ce livre est volumineux, exigeant, complexe, polyphonique, et on ne comprend sa structure et sa cohérence qu'à la toute fin. Quant au style de l'auteur, c'est celui d'un conteur oriental qui aime les histoires, les digressions, et prendre son temps. Lecteur pressé, passe ton chemin.
La première partie d'Adieu Zanzibar commence en 1899, dans une petite ville quelque part sur la côte de la Tanzanie, alors protectorat anglais, au sud du Kenya et face à l'île de Zanzibar. Ne vivent là que deux Anglais, Frederick Turner, propriétaire d'un domaine et administrateur de la région, et Burton, un fermier raciste, farouchement colonisateur. Les autochtones sont musulmans, nombre d'entre eux étant venus d'Inde pour faire du commerce. Tel Hassanali et sa famille, un épicier superstitieux, qui est aussi le muezzin de la communauté. Il vit avec sa femme, Malika, et sa sœur, Rehana. L'équilibre de ce petit monde se voit bouleversé par l'arrivée inopinée de Martin Pearce, un aventurier qui, cheminant de la Somalie vers l'Ouganda, s'est fait dépouiller, frapper et abandonner par ses guides somalis. Il s'en est tiré en piteux état, est recueilli par le brave Hassanali, puis transféré chez Turner. Après quelque temps se noue entre Rehana et lui une relation amoureuse. Il l'aimera, repartira, reviendra avant de regagner définitivement l'Angleterre. Mais il lui a laissé un enfant, une fille.
Cinquante ans après, une autre famille, avec trois enfants. Farida, l'aînée, qui deviendra poète. Amin, le puîné, poète également, qui restera au pays et, avant de devenir aveugle, entretiendra une correspondance avec son cadet Rashid, le plus brillant, parti pour l'Angleterre et devenu professeur. Le grand drame de la vie d'Amin, c'est que ses parents l'ont obligé à rompre avec l'amour de sa vie, Jamila, femme « impure » parce que divorcée, et, surtout, métisse. Il y a du « mzungu », du Blanc, dans son sang. Après bien des palabres, des aventures et des recherches, et bien des pages, on apprendra qu'elle n'est autre que la petite-fille de Rehana. La boucle est bouclée.
Adieu Zanzibar Traduit de l’anglais par Sylvette Gleize
Denoël
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 23 € ; 368 p.
ISBN: 9782207165454