Et dire que j’évoque dans mes romans un amour pur et éthéré de la Suisse, celle d’Albert Cohen et de Patrick Modiano, me voilà bien embêté avec cette affaire d’exil Halliday. Il va maintenant falloir que je reste pauvre pour qu’on ne croit pas que je m’évade vers mon pays rêvé pour des raisons fiscales. Mais vont-ils m’accepter si je suis pauvre ? Insoluble dilemme de l’apparence. Avant, il s’agissait des grands écrivains qui se réfugiaient en Suisse : de Kundera à Thomas Mann, quel génie n’est-il pas passé par ce petit pays, véritable entonnoir culte ? L’air suisse a toujours été propice aux aphorismes. Et maintenant, on enlève des lettres, et on se retrouve avec Prost. Qui sait : Johnny va peut-être nous écrire « La mort à Gstaadt »? Le plus drôle dans cette histoire est l’interview radiophonique de l’idole des (vieux) jeunes. En quelques mots, il a sacrifié un an de stratégie douce. Il a ridiculement tenté de nous faire passer son envie d’avoir envie de devenir belge comme la nécessité ontologique de renouer avec ses racines paternelles. Je ne me souviens plus qui avait magnifiquement titré : « Johnny, au nom du père et du fisc »… Et voilà qu’en un coup d’interview, il a avoué aussi sec, tel un homme rongé par la culpabilité de sa mascarade : « je n’en peux plus ! je m’en fous ! On nous taxe trop ! ». Et nous qui pensions que la quête paternelle était l’affaire de sa vie. Jade sera donc une petite suisse. Tous les journalistes nous font la liste de ces exilés du Fisc. Je me souviens surtout de Gainsbourg qui, en direct à la télévision, avait brûlé un billet de 500 francs. Somme faramineuse et culte : le Pascal. Il avait voulu le calciner à 70% pour bien montrer à quel point il était taxé. C’était peut-être choquant, mais il était resté en France, lui. Quitter la France pour la Suisse devait lui sembler être d’une autre époque. Je viens d’apprendre la mort de Laurent Bonelli. Victime d’un cancer foudroyant à l’âge de 39 ans. C’est un vrai choc. Libraire chez Virgin Megastore, c’était un homme d’une grande gentillesse. Et d’une grande culture littéraire : il disait lire un livre par jour. Je me souviens d’une signature au Virgin, où il m’avait invité avec Tania de Montaigne. Nous avons ramé tous les trois dans le vide : il n’y avait personne ! Le sourire figé, il continuait d’animer la rencontre, coûte que coûte. C’était une machine à faire partager ses passions et ses coups de cœurs. Il parlait de ses projets, de ses envies, de son émission sur Pink TV. Où est le rose dans tout ça maintenant ? Noir, c’est noir.
15.10 2013

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