Entretien

Adrien Bosc et Stéphanie Chevrier : « Nous avons réussi à créer un écosystème qui nous ressemble »

Adrien Bosc et Stéphanie Chevrier dans les locaux des éditions Julliard - Photo OLIVIER DION

Adrien Bosc et Stéphanie Chevrier : « Nous avons réussi à créer un écosystème qui nous ressemble »

Nommé au printemps, Adrien Bosc fera sa rentrée littéraire en tant que directeur de Julliard tout en conservant les rênes des Éditions du sous-sol, qui rejoignent le groupe Editis au sein du pôle que dirige Stéphanie Chevrier. Entretien croisé avec les intéressés.

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Par Sean Rose
Créé le 02.09.2024 à 17h05

Livres Hebdo : Stéphanie Chevrier, vous êtes présidente de La Découverte mais vous dirigez également un important pôle éditions au sein d'Editis, auquel appartient Julliard. Pourquoi le choix d'un nouveau directeur pour cette maison ?

Stéphanie Chevrier : Quand on m'a nommée directrice générale du pôle éditions qui regroupe La Découverte et Julliard, maisons auxquelles s'ajoutent désormais les Éditions du sous-sol, j'avais repris depuis peu cette prestigieuse maison fondée par René Julliard, et longtemps dirigée par Betty Mialet et Bernard Barrault. Ces derniers avaient décidé de créer leur propre maison d'édition (Mialet-Barrault Éditeurs, ndlr), emportant avec eux une bonne partie de l'équipe et leurs auteurs, hormis Philippe Besson. Deux années plus tard, pour intensifier le redéploiement de Julliard, il m'a semblé important de recruter un directeur, une personne qui aurait le talent, la force, l'envie de s'emparer de la maison et de son histoire, de la faire briller. Et cette personne, nous l'avons trouvée !

Adrien Bosc, vous avez donc été nommé au printemps directeur de Julliard, tout en conservant les rênes des Éditions du sous-sol, que vous avez fondées. Après tant d'années passées au Seuil, cela a-t-il été difficile de quitter cette maison ?

Adrien Bosc : Je savais que, si je quittais le Seuil - une grande maison à laquelle j'ai été très fidèle, où j'ai travaillé dix ans et qui m'a nourri intellectuellement en tant que lecteur, avec laquelle j'avais un lien presque familial -, je ne franchirais le pas que pour une maison qui ne serait pas identique. Julliard est une maison à taille humaine, et c'est ce qui me plaisait quand on m'a proposé d'en prendre la direction. J'aime l'idée d'une maison où un geste éditorial peut d'emblée être envisagé dans sa globalité, où une attention particulière peut être apportée à chaque ouvrage, et le long de toutes les étapes, par le directeur et les éditeurs qui l'accompagnent. Des maisons de cette taille-là, avec une histoire littéraire aussi forte, il n'y en a pas tant. Avec le recul, Julliard représentait le véhicule idéal. 

« Nous nous connaissions et avions envie de travailler ensemble  »

Vous connaissiez déjà Stéphanie Chevrier...

A. B. : Oui, nous nous connaissions et avions envie de travailler ensemble mais l'occasion ne s'était pas présentée. J'étais admiratif de ce que Stéphanie avait construit à La Découverte et chez Julliard et pensais que le Sous-sol s'insérerait parfaitement dans cet environnement tout en profitant de son regard. Comme dit Stéphanie, nous avons réussi à créer « un écosystème qui nous ressemble ». Il ne s'agit pas ici d'un vain mot. Au-delà du pôle, du groupe ou des services qui sont mutualisés, il y a une communauté d'esprit. J'apporte des auteurs comme l'astrobiologiste Nathalie A. Cabrol. Après le succès de son essai À l'aube de nouveaux horizons (Seuil, 2023), elle revient en janvier 2025 chez Julliard, avec un livre qui entre en écho avec les thèses de Bruno Latour, le grand penseur de l'Anthropocène disparu en 2022, et l'un des auteurs phares du catalogue de La Découverte. Abdellah Taïa, dont le nouveau roman Le bastion des larmes fait partie de la rentrée française chez Julliard, défend la poésie de Mosab Abu Toha, poète palestinien inédit en français jusqu'alors, et que nous sortirons également en octobre. Ou Philippe Pujol dont le récit Les cramés, sur les enfants victimes et main-d'œuvre du trafic de drogue et d'armes, paraît en septembre aussi chez Julliard. Il y déploie un regard, une éthique du journalisme que nous défendons avec Stéphanie. 

Maintenant que vous avez la direction de Julliard, ainsi que du Sous-sol (que vous dirigiez déjà lorsque cette maison appartenait au groupe Média-Participations), sentez-vous que vous aurez plus la maîtrise de la ligne éditoriale qu'au Seuil, qui fonctionne avec un comité de lecture ?

A. B. : On apprend beaucoup de ces comités où l'on confronte les avis. Il n'y a jamais eu de contrainte, plutôt un apprentissage formidable au contact de grands lecteurs. La différence, c'est la possibilité de suivre de bout en bout tous les titres de nos maisons. C'est-à-dire prendre pleinement connaissance de chaque titre en accompagnant les éditeurs dans leur intuition, de construire un catalogue. Mener tout un projet de façon organique, naturelle, c'est ce qui est possible et souhaitable chez Julliard. Mon bonheur se trouve du côté du texte, et je crois que ce bonheur rejaillit sur le collectif et contribue à la joie de travailler en équipe au sein d'une structure plus large. Tout découle du plaisir de lecture, de la qualité du texte... Telle était l'intention de Stéphanie en m'invitant à venir chez Julliard : remettre l'auteur au centre. Et le travail d'allers et retours avec les différents éditeurs ne peut que créer un bel élan.

« Le Sous-sol est l'une des plus belles, si ce n'est la plus belle maison de littérature étrangère créée ces dernières années »

Que peuvent apporter les Éditions du sous-sol, cette nouvelle marque dans l'escarcelle de votre pôle, alors que les sciences humaines à La Découverte et la fiction chez Julliard proposent déjà une offre complémentaire ?

S. C. : Le Sous-sol est l'une des plus belles, si ce n'est la plus belle maison de littérature étrangère créée ces dernières années, fiction et non-fiction. Après dix ans, elle possède un catalogue ébouriffant. J'ai énormément d'admiration pour ce travail éditorial. C'est pourquoi j'ai pensé qu'Adrien était la bonne personne pour diriger et redonner tout son éclat aux éditions Julliard, maison de littérature française essentiellement, à la production complémentaire de celle du Sous-sol. Le nouvel élan que nous avons voulu impulser avec Catherine Lucet (directrice générale d'Editis) et Denis Olivennes (président d'Editis) en intégrant les Éditions du sous-sol au groupe est indissociable de notre réflexion sur le développement de Julliard. 

A. B. : Stéphanie souligne à juste titre ces effets miroir entre les deux maisons. Sous-sol et Julliard, dans leur répartition de titres français et étrangers. Un domaine ne concurrence d'ailleurs pas l'autre. Au Sous-sol, il existe un désir de publication très fort de manuscrits français, d'autant plus fort qu'on publie avec parcimonie dans ce domaine. Ainsi l'œuvre de Laura Vazquez, les textes d'Émilienne Malfatto, les récits d'Ariane Chemin, ou récemment Aliène, le roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke, lauréat du Prix Inter. À l'inverse, Julliard est plus connue pour sa littérature française, avec quelques incursions en littérature étrangère. Quoiqu'il y ait eu de l'étranger chez Julliard avec d'éminents auteurs comme Witold Gombrowicz, Arno Schmidt, Primo Levi... Mais il faut remonter assez loin, du temps où Maurice Nadeau était directeur de collection et Christian Bourgois à la tête de la maison. Au cours des années qui ont suivi, il y a cependant eu d'autres textes forts et, très récemment encore, on a vu de beaux succès d'estime comme Hêtre pourpre (Julliard, 2023) de Kim de l'Horizon. En octobre, Lisa Liautaud publiera le poète palestinien Mosab Abu Toha...

S. C. : D'autant plus remarquables qu'elles sont plus rares. Je pense aussi à Au bord d'Angelo Tijssens, ou encore à Margaret Renkl et sa magnifique Histoire naturelle de l'amour et de la mort. 

L'arrivée de la marque Sous-sol est-elle une façon d'afficher un côté avant-gardiste ?

A.B. : Les Éditions du sous-sol ont été créées en 2011, nous sommes en 2024... Sous-sol est bien installé dans le paysage. L'esthétique avant-gardiste d'hier devient souvent le goût dominant d'aujourd'hui... C'est le cas au Sous-sol avec les livres de Deborah Levy, dont le bel accueil critique s'est transformé en succès grand public. Quand Sous-sol et Julliard vont cohabiter, les deux s'alimenteront naturellement, mais je ne vais pas dire Julliard, c'est du classique et sous-sol de l'expérimental, car il y a eu des textes formellement inventifs et novateurs chez Julliard (citons Maurice Pons, ou plus récemment Gwenaëlle Lenoir)... Ce que je poursuivrai en revanche est l'état d'esprit de la maison inscrit dans l'ADN de Julliard et que Betty et Bernard avaient cultivé : découvrir un auteur, suivre ses textes, bâtir une œuvre... de Françoise Sagan à Philippe Besson. 

« C'est le moment de remettre l'ouvrage sur le métier et d'inventer à nouveau  »

S.C. : Aujourd'hui, avec Adrien à sa tête, épaulé par deux directeurs éditoriaux ainsi qu'une une équipe bourrée de talent, nouvelle page de Julliard s'écrit.

A. B. : Une nouvelle page qui s'écrit avec les équipes en place et le renforcement de la maison, avec l'arrivée de Frédéric Mora, un grand éditeur, et Géraldine Ghislain, attachée de presse reconnue. Et bien sûr des auteurs fidèles qui nous suivent chez Julliard pour leur prochain livre, comme David Diop, Sarah Chiche, Rachid Benzine, Patrick Grainville, Erik Orsenna, Valentin Musso, Philippe Pujol et d'autres. 

Dégagée de la gestion directe de cette maison, vous pourrez désormais vous consacrer à d'autres projets pour La Découverte... 

S.C. : Durant ce temps de transition - deux ans -, je n'ai pas cessé de faire ce qui est mon cœur de métier, c'est-à-dire me consacrer au développement éditorial de La Découverte, qui couvre une variété de disciplines et abrite plusieurs labels (Zones, Les Empêcheurs de penser en rond) et collections. Il y a plus de six ans, lorsque François Gèze m'a proposé la présidence de sa maison, j'ai engagé avec l'équipe un travail de réflexion sur la manière de redéployer l'éditorial. Quelles nouvelles collections pour La Découverte ? Quels nouveaux champs ? Qui sont les auteurs et autrices que nous souhaitons accueillir ? Quelle nouvelle charte graphique ? Nous voulions nous projeter dans le temps. Six ans ont passé, et c'est le moment de remettre l'ouvrage sur le métier et d'inventer à nouveau. Nous continuerons à découvrir de jeunes auteurs, à accompagner celles et ceux dont nous avons publié les premiers livres : Benoît Coquard, Alizée Delpierre, Nastassja -Martin et tant d'autres, sans oublier Charles Stépanoff et Pierre -Charbonnier, dont les prochains livres suscitent déjà l'enthousiasme chez les libraires... Ainsi qu'à suivre en fidélité tous les auteurs historiques qui font aussi le rayonnement de notre maison. L

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