Dans la cité de Fourmies, dans le Nord, ce 1er mai 1891 qui s'annonce a le parfum du printemps et de l'espoir. Galvanisés par un discours de gauche, plusieurs ouvriers des filatures de laine comptent bien passer outre la décision des patrons d'imposer le premier jour de mai comme un jour travaillé. Mais la gendarmerie arrête les plus vindicatifs. Ce qui remobilise tous les autres, qui sortent manifester en réclamant les « huit heures » pour tous, avec fierté et sourire, le drapeau tricolore en main. La troupe est appelée en renfort et les officiers paniquent : ce 1er mai 1891 n'a plus que l'odeur de la poudre et du sang.
Repéré par son polar Apache, puis sa biographie du boxeur dandy Panama Al Brown et ses adaptations de Servir le peuple et d'Un travail comme un autre, Alex W. Inker revient à un sujet plus local et modeste, avec l'illustration d'un fait historique tristement célèbre : la fusillade de Fourmies a fait neuf morts, dont des enfants, et plus de trente blessés. On n'est guère étonné qu'Alex W. Inker se soit penché sur ce sujet, lui qui est né et vit dans le Nord, et qui s'intéresse, depuis son premier livre, aux outsiders, aux petites gens, à ces hommes et femmes qui aspirent à une vie meilleure que celle de leurs parents, et avant tout à être considérés comme des êtres humains. Pour décrire cette journée fatale, il arpente le pavé auprès d'une jolie et têtue militante, d'un gamin enthousiaste, d'un couple rebelle, tous en première ligne et victimes des balles de l'ordre établi.
Comme souvent, l'auteur plie son style à une esthétique proche de l'époque dépeinte : ici, avec un trait de plume épais et souple évoquant les caricatures des journaux d'alors ; une seule couleur, celle de la brique du Nord ; un aspect volontairement jeté, dans un esprit de tract ; et des hachures noires, à vif, pour faire vibrer l'ensemble et creuser le sillon du drame.
Le résultat est puissant, car sans fioritures, ni conclusion explicative, ni excuse, ni fausses espérances. Là encore, l'auteur est un habitué des chutes abruptes et glaçantes. Celle de Fourmies la Rouge est sans doute la plus dure et la plus émouvante. Peut-être parce que la mobilisation des ouvriers d'alors pour le respect des droits humains résonne aujourd'hui toujours aussi fort.
Fourmies la Rouge
Sarbacane
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 112 p.
ISBN: 9782377316465