Il y a presque cinquante ans décédait des suites d'un cancer du pancréas l'un des plus fameux et singuliers écrivains italiens du siècle dernier, Dino Buzzati. Il était également peintre et dessinateur et fut durant toute sa vie professionnelle journaliste au quotidien conservateur le Corriere della Sera. C'est là, au soir de sa vie, que vient aujourd'hui le chercher Alexis Salatko, un des romanciers français qui, de Vladimir Horowitz à Flannery O'Connor, Céline ou Django Reinhardt, sait le mieux et le plus gracieusement transformer la vie de ceux qu'il admire en exofictions, qui sont comme des balades biographiques où auteur et sujets se rejoignent finement. Et justement, Salatko porte une vénération à l'œuvre et à la personnalité, très attachante, de Buzzati. C'est donc cette empathie qui rend si précieuse son nouveau livre, La dernière enquête de Dino Buzzati.

Alexis Salatko imagine (ou peut-être pas, et au fond qu'importe) qu'en 1970 le Corriere della Sera envoie son chroniqueur vedette au fin fond d'un village perdu du Sud du pays où viendrait de se produire un évènement stupéfiant : la pétrification de nombre d'habitants d'une grande résidence plus ou moins désaffectée. Les malheureux sont tout à fait vivants mais comme arrêtés à jamais dans leur marche du temps. Cela ressemble assez à une nouvelle fantastique de Buzzati, mais aussi à ce qu'il vit lui-même à ce moment-là, venant d'apprendre la maladie qui va l'emporter, n'en ayant informé personne et redoutant autant que désirant finalement ces « tartares », les stigmates du mal, dont son plus célèbre livre avait rendu fameuse l'attente... Buzzati remonte avec son enquête le fil de sa propre vie, sa rencontre avec Camus, son amitié avec Fellini, ses amours malheureuses...

Qu'elle est jolie la teinte doucement crépusculaire de ce récit d'Alexis Salatko ! Il y peint un homme qui ne fait pas la paix avec les démons qui l'envahirent sa vie durant, mais apprend, in fine, à composer avec. En fait de composition, ce serait un nocturne au piano, quelque chose qui pourrait s'apparenter à la joie paradoxale de cette mort annoncée. Il y a là-dedans moins de tristesse que de mélancolie, moins de douleur que de douceur. Un livre, en tout cas.