Le texte, qui sera examiné ce mercredi 6 octobre à l’Assemblée nationale, prévoit un tarif forfaitaire de livraison qui pourrait osciller dans une fourchette comprise entre deux et cinq euros, rendant ainsi impossible la tarification des frais de port à un centime, comme le pratique actuellement Amazon.
Portée par la sénatrice Laure Darcos (LR), la proposition a déjà été adoptée en juin dernier par le Sénat et achèvera son parcours législatif par un vote au palais Bourbon puis un passage en commission mixte paritaire pour établir un texte commun qui sera de nouveau présenté aux parlementaires des deux chambres. Une procédure d’urgence du gouvernement devrait permettre son adoption finale dès le mois de novembre.
Bataille de chiffres
De quoi mécontenter grandement Amazon, dont la part de marché sur les ventes de livres est estimée à 10 % en France : dans sa lettre ouverte intitulée « Pour la lecture et le pouvoir d’achat ! », le directeur général d’Amazon.fr Frédéric Duval estime que « si une telle mesure était adoptée, elle pénaliserait la diffusion des livres sur notre territoire et la lecture en général. » « Nous n’aurions pas d’autre choix que d’ajouter ces frais d’expédition au prix unique du livre, fixé par la loi, ajoute-t-il. Les citadins pourront certes y échapper en achetant leur ouvrage en librairie, mais pour les autres, la facture sera élevée : pour un livre de poche vendu 6,5 euros, le tarif Lettre verte, c’est-à-dire le tarif postal le moins onéreux, est de 3,94 euros, ce qui représente un surcoût de 61%, soit plus de 250 millions d’euros par an de perte de pouvoir d’achat pour des millions de lecteurs français. »
La plateforme accuse notamment le texte de léser les lecteurs vivant loin des grands centres urbains et pouvant accéder plus difficilement à une librairie. Elle se positionne également en défenseur des lecteurs aux revenus les plus modestes, qui selon une étude Ifop commandée pour son compte « ont davantage tendance à acheter exclusivement en ligne. » Dans sa tribune, Frédéric Duval ajoute : « Plus de la moitié des livres achetés sur Amazon le sont par des habitants de communes de moins de 10 000 habitants, et plus du quart par des habitants de communes de moins de 2 000 habitants. Pour eux, l’achat en ligne est souvent la seule solution praticable, raison pour laquelle ils achètent davantage en ligne que la moyenne. »
Lutte de classes
Des affirmations que le Syndicat de la librairie française (SLF) s’est empressé de démentir. Dans un communiqué, l’organisme, qui est favorable au projet de loi, s’appuie sur le rapport de l’Insee L’économie et la société à l’heure du numérique, publié en 2019, pour rappeler que, « au contraire, ce sont les personnes les plus aisées qui achètent le plus sur Internet : parmi les Français les plus modestes, 55% achètent sur Internet contre 79% parmi les Français les plus aisés. » Et le SLF d’ajouter : « Les personnes n’ayant aucun diplôme ou le CEP sont 31% à acheter sur Internet contre 88% parmi les personnes disposant d’un diplôme supérieur au bac. »
De la même manière, le SLF conteste l’affirmation de Frédéric Duval selon laquelle les habitants des communes de moins de 10 000 habitants achètent davantage en ligne que la moyenne. « Là encore, les données de l’Insee contredisent ces affirmations, rappelle le communiqué. Parmi la population résidant dans des communes de 2 000 à 50 000 habitants, 60% des personnes achètent sur Internet contre 65% dans les communes de plus de 200 000 habitants (hors région parisienne) et 70% dans l’agglomération parisienne. »
Far West
Le risque, selon Amazon, serait qu’une partie des clients ayant l’habitude de commander en ligne soient conduits à lire moins, « ce que feraient 25 % des personnes interrogées », affirme Frédéric Duval, toujours en reprenant les données de l’enquête Ifop.
Le SLF rappelle de son côté que la proposition de loi discutée au Parlement vise simplement à ramener les frais d’expédition de livres au niveau de ceux des autres produits. « Amazon ne pratique la quasi gratuité des frais d’expédition que sur le livre, montrant ainsi clairement sa volonté d’évincer de ce marché les autres acteurs, à commencer par les libraires indépendants », insiste le SLF dans son communiqué, avant de conclure : « Internet ne peut pas se transformer en Far West où prévaudrait la seule loi du plus riche ! Défendre une saine concurrence, c’est permettre à des milliers de libraires de continuer à promouvoir la diversité culturelle, à défendre les emplois locaux et à animer nos villes, nos villages et nos bourgs, tout en développant parallèlement leur présence sur Internet. »