Le Jonathan Ames que l'on rencontre dans le hall de l'hôtel Montalembert à Paris ressemble trait pour trait à celui qui figure au centre d'Unedouble vie, c'est deux fois mieux. Même stature, même veste de tweed vintage, même front dégarni. Ajoutons un délicieux petit bonnet bleu, une barbe rousse fournie, une chevalière à la main droite.

Le New-Yorkais a grandi à Oakland. Une jolie bourgade verdoyante du New Jersey. Fasciné par Steve McQueen dans La grande évasion, il est d'abord brièvement entré dans l'armée afin de financer ses études. Mais s'est vite découvert un incurable pacifiste.

L'homme a bourlingué. Il a été chauffeur de taxi. Modèle pour les photographes Bruce Weber et Horst - un cliché le représentant en sous-vêtements a fugacement orné les abribus de New York ! Pendant cinq mois, il a également été garçon au pair à Paris. Il emmenait les deux enfants d'une famille franco-libanaise à l'école, passant devant la boulangerie où Gertrude Stein venait s'approvisionner.

Très sportif - il a pratiqué le tennis, l'escrime, la boxe -, Ames a songé à devenir journaliste sportif avant de se tourner vers la littérature. Ce juif agnostique s'est fait remarquer d'entrée de jeu lorsqu'il a publié chez William Morris un premier roman osé et sombre, Je vais comme la nuit (Ramsay, 1990), dont le titre vient d'un poème de Coleridge. A l'époque, le débutant pouvait se targuer de bénéficier d'un blurb (1) de Philip Roth. Lequel tenait son héros, portier dans un restaurant chic de Manhattan, pour "un mélange de Jean Genet et de Holden Caulfied à l'époque du sida".

Avec L'homme de compagnie (repris en Points), qui plaisait tant à Christian Bourgois, son éditeur français de l'époque, il a ensuite cherché à rivaliser avec Don Quichotte, La conjuration des imbéciles et le Thomas Mann de La montagne magique, >dont il a utilisé la construction en douze chapitres. Tout son travail, il n'en fait pas mystère, est plus ou moins autobiographique. Joyce Carol Oates, sa première professeure de creative writing, lui avait d'ailleurs conseillé de se servir de lui-même pour alimenter ses livres.

Grand fan de David Goodis, il n'avait jamais pensé être détective privé. Jusqu'à ce qu'il s'attaque à une nouvelle destinée à la revue McSweeney's. "Un ennui mortel", qui ouvre le recueil Une double vie, c'est deux fois mieux, il a d'abord songé à en tirer un film noir dans la lignée d'After hours. La chaîne HBO l'a incité à la remodeler en une comédie avec plusieurs personnages. Le résultat a donné la série culte Bored todeath, dont la troisième et dernière saison est diffusée sur Orange Ciné à partir du 11 février.

Obsédé par les aisselles féminines

Impossible de ne pas succomber à pareil concentré de loufoquerie. A Jason Schwartzman, impeccable dans le rôle de Jonathan Ames - qui voit en lui une manière de "jeune Dustin Hoffman". A Ted Danson, qui incarne un excentrique homme de presse inspiré à la fois par George Plimpton, l'ancien grand manitou de The Paris Review, et par Christopher Hitchens, le polémiste de Vanity Fair récemment disparu.

Grâce au succès de Bored to death, huit épisodes par saison à rédiger en quatre mois, l'écrivain n'a jamais aussi bien gagné sa vie et a accru sa notoriété. L'arrêt de la série va lui permettre de se remettre à la fiction. De se lancer dans une novella resserrée comme en produisait Donald Westlake quand il signait du pseudonyme de Richard Stark. Peut-être aussi d'attaquer le scénario d'un film qui se déroulerait à Brooklyn et aurait la fantaisie de La panthère rose. Et d'envisager sérieusement de réaliser lui-même l'adaptation cinématographique de Réveillez-vous, Monsieur ! (Joëlle Losfeld, 2006), où Jude Law, qu'il a croisé une fois à une soirée chic, serait parfait dans le rôle de son héros Alan Blair.

"Modérément pervers", obsédé comme son double par les aisselles féminines, un "lieu secret" dont il peut parler pendant des heures, Jonathan Ames confie avoir perdu sa virginité le 31 décembre 1981. Il explique avoir également signé un roman graphique, The alcoholic, avec le dessinateur Dean Haspiel, qui lui a bien servi pour le personnage de Ray dans Bored to death. Autrefois, dit-il, il ne savait pas trop pourquoi il écrivait. Désormais, il le fait sciemment pour donner du plaisir à ses lecteurs. Force est de reconnaître que c'est une réussite !

Une double vie, c'est deux fois mieux, Jonathan Ames, éd. Joëlle Losfeld, trad. de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Gratias, 21,50 euros, 247 p., ISBN : 978-2-07-244813-3. Sortie : 9 février.

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