Tant de vies possibles. Voici deux ans, grâce aux bons soins du Bruit du Monde, les lecteurs français découvraient avec la publication de Chef-d'œuvre, troublant « romanquête » autour du milieu de l'art contemporain, l'œuvre fascinante du journaliste, essayiste et romancier galicien Juan Tallón. Tallón, 50 ans, a, dans les journaux auxquels il collabore, trop fréquenté le réel pour ne pas s'en méfier. Ses livres portent la trace de ce doute, un peu comme dans ceux de ses compatriotes Javier Marías ou Enrique Vila-Matas.
C'est en tout cas la réflexion qu'on ne saurait manquer de se faire à la lecture de ce deuxième roman traduit dans notre langue, Un voyage en or. Il est en effet assez difficile d'y relater ce qui s'y passe vraiment. C'est donc l'histoire d'un homme qui ne sait pas se contenter de ce qu'il est, de ce qu'il a. Ni personnellement, ni sexuellement, ni surtout, professionnellement. Antonio aurait pu tout simplement gérer en bon père de famille l'entreprise d'objets funéraires héritée de son père. Mais, rongé par son appétit dévorant pour le luxe, il ne peut s'en satisfaire. Estimant que ses aspirations sont partagées par tout le monde, Antonio Hitler (patronyme qui, chacun en conviendra, n'est pas de nature à brider son sens de l'ambition...) a imaginé faire fortune avec un modèle de cercueil tout particulier, doré à l'or fin... Gloire et richesse, se persuade-t-il, seront au rendez-vous. Mais la mort est mauvaise fille. Et de la Galice au Mexique en passant par Houston, Antonio va faire l'expérience de voyages aux confins de sa réalité. Et, dans sa psyché perturbée, vivre toutes ses vies possibles.
Bousculant la chronologie et l'espace, se moquant de toute vraisemblance, Juan Tallón compose un chant furieux et très plaisamment sardonique. Il semble nous dire que la vérité n'est jamais qu'une des versions possibles de l'histoire. Son pauvre héros perdu tient à la fois du Quichotte et du consul d'Au-dessous du volcan. Surtout, par la justesse de son trait et sa capacité à incarner ses personnages en quelques lignes seulement, le romancier démontre que peu importe ce qu'il en est du réel du moment qu'il demeure un piège à fiction.
Un voyage en or
Le Bruit du monde
Traduit de l’espagnol par Julia Chardavoine
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 23 € ; 368 p.
ISBN: 9782386010583