12 mars > Roman France

Il y a, dans les premières pages de Fenicia, le beau roman largement autobiographique que consacre Pierre Brunet à la figure complexe, sublime autant que pathétique, de sa mère, une scène qui en résume l’ambition désolée, qui est comme le paradigme du destin de son héroïne. Décembre 1938. Ana, qui ne se fait pas encore appeler Fenicia, une petite fille de 6 ans élevée dans un orphelinat de Barcelone, vient, en ces jours où Franco triomphe, d’être adoptée par un couple de militants républicains anarchistes. Ils prennent avec elle la route terrible de l’exil et de l’exode. Arrivés à Port-Bou, ils sont bientôt rejoints par des centaines d’autres fuyards, gravement blessés pour la plupart. Parmi eux, un très grand nombre d’enfants, de l’âge d’Ana ou à peine plus âgés. Et c’est là, devant ce défilé terrifiant, que pour la première fois, Conchita, la femme qui vient d’adopter Ana, la prend dans ses bras…

Ce qui suit, c’est quatre cents pages, toute une vie, qui sera de la même eau, bouleversée, exagérée, bouleversante, tragique et traversée d’éclats de beauté et de tendresse, racontée par un fils qui, parce qu’il est écrivain, sait qu’il aurait été dommage, lorsque l’on a eu une mère comme la sienne, de l’assigner au seul rôle de mère. Fenicia était aussi une épouse, une amante, une amie, une militante, une intellectuelle (agrégée de lettres) et, avant tout et pour toujours, cette petite fille arrachée par la guerre au cocon faussement protecteur d’un orphelinat. Une femme en exil, et d’abord d’elle-même. Faute d’avoir su ou pu ordonner son chaos, Fenicia était folle. De ces folies grandioses où la fréquentation du désastre devient une morale de vie. Elle était aussi aimée. Infiniment. Pierre Brunet, dont c’est le troisième livre, y applique bravement la leçon d’Hemingway : "Write hard and clear about what hurts [écris franchement et clairement sur ce qui blesse]."

Olivier Mony

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