« L'obscurité était la plus belle chose au monde. Je dois me souvenir, c'est de cette matière qu'est faite la littérature, de cette matière de vie remémorée. » La tragédie et les mots de Sylvia Plath n'ont cessé de remuer ou d'inspirer plusieurs générations d'écrivains. Un tel destin ne laisse guère indifférent, comme en témoignent deux autrices en cette rentrée. Alors que la primo-romancière suédoise Elin Cullhed imagine l'ultime année de la poétesse dans Euphorie (Éditions de l'Observatoire), Ananda Devi se livre à son récit le plus intime et bouleversant, Sylvia P., dans la collection « Sur le fil » chez Bruno Doucey. Une expression en parfaite adéquation avec cette vie, perpétuellement sur le fil du rasoir... Ce serait toutefois réducteur de cantonner Plath à son mariage houleux avec Ted Hughes ou à sa fin tragique, tant c'est sa prose mélancolique qui traverse les âges. « Le silence du suicide. Ou plutôt le bruit tonitruant du suicide qui va étouffer la voix du poète. » La sienne continue, au contraire, à accompagner ses lecteurs dans leurs secrètes profondeurs. Touchée par sa grâce, Ananda Devi estime qu'elle « justifiait le fouillis de sa vie par l'écriture, qui lui conférait ordre, forme et beauté : une manière d'aimer le monde et les gens ». L'autrice mauricienne reconnaît ici un repère qui gouverne son existence, en apparence moins tumultueuse. Mais que sait-on d'une vie et de l'importance de l'encrier ? Sylvia « embrasserait l'écriture comme son chemin de braises, le seul qu'elle puisse suivre ». L'Américaine se démène pour trouver sa voie, mais son exigence et la société conservatrice de son temps sont pour elle autant d'obstacles douloureux. Dès ses premiers textes, Devi est frappée par « une autoanalyse sans concession, tellement lucide qu'elle finira par la détruire. Elle est en quête du poème. Elle est en quête d'elle-même, et d'une vie. Et aussi d'un homme. » Celui-ci apparaît sous les traits du célèbre poète anglais Ted Hughes. Avec lui, Plath découvre l'amour et la difficulté de grandir à l'ombre de cet artiste reconnu. D'autant que son époque assigne son sexe à un rôle précis. Ananda Devi avoue : « Comme elle, j'aurais voulu être parfaite en tout : fille, épouse, mère, écrivain, femme. Vers la fin de sa vie, elle verra la liberté de Ted comme le pendant de son propre emprisonnement. » Un enfermement accentué par ses démons intérieurs. Dépressive, Sylvia « redira sa terreur d'un retour à la folie, sa paralysie, son anticipation du pire - surtout de l'hôpital psychiatrique et des lobotomies ». Un parcours lourdement cabossé, aux séquelles redoutables. À travers elle, Ananda Devi livre sa part d'ombre et sa façon de l'approcher par l'écriture, qui se fait tantôt brûlure, tantôt armure. « Je voulais creuser mon propre tunnel pour m'échapper de ma prison. Là où elle s'était accomplie, je suis restée, moi, en deçà du Bord », sauf concernant ce sentiment de marginalisation aliénant. Née « femme et colorée » à Maurice - « une petite île invisible dans la cartographie littéraire »- la romancière a aussi dû gravir de nombreux échelons pour imposer sa plume singulière.
Sylvia P.
Éditions Bruno Doucey
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 18 € ; 208 p.
ISBN: 9782362294297