André Gorz, de son vrai nom Gérard Horst, et sa femme Dorine, mariés depuis 1949, se sont suicidés dans leur domicile de Vosnon (Aube) dans la journée du 24 septembre. Ils s’étaient retirés dans le sud de la France au début des années 80.
Né en Autriche en 1923 d’un père juif et d’une mère catholique, le philosophe a grandi dans une Europe antisémite et fera ses études à Lausanne pour éviter la mobilisation dans l’armée nazie. A 23 ans, l’ingénieur chimiste rencontre Sartre et débute sa vie professionnelle comme traducteur de nouvelles américaines pour un éditeur suisse. Il arrive à Paris en 1949, où il deviendra journaliste. Chroniqueur à L’Express, il fondera plus tard Le Nouvel Observateur avec Jean Daniel, Serge Lafaurie, Jacques-Laurent Bost, K.S. Karol.
De l’anti-capitalisme à l’écologie
S’intéressant à la phénoménologie, à l’existentialisme et au marxisme, il rédigera des traités faisant référence dans le domaine comme Le Traître (Seuil, 1958), La Morale de l'histoire (Seuil, 1959) et Les Fondements pour une morale (Galilée, 1977). Il se passionne pour la libération, l’aliénation et l’autonomie de l’individu. Influencé par l’école de Francfort, membre du comité de direction des Temps modernes, il dénonce le modèle de croissance capitaliste et fait l’éloge de l’émancipation à travers le progrès social (Le Socialisme difficile (1967), Réforme et révolution (1969), tous deux parus au Seuil, Misères du présent, richesse du possible (Galilée, 1997))
Les années 70 seront plus cruelles. Ses prises de position contre la tendance maoïste de la revue de Sartre ou encore, dans Le Nouvel Obs, contre l’industrie nucléaire, l’éloigneront de ces médias. Ecologie et politique (Galilée, 1975) sera un texte fondamental pour le mouvement écologique, qu’il voit comme une alternative au capitalisme comme outil de transformation sociale. De ruptures en démissions, Gorz évolue, souvent en avance sur son temps, pressentant les oscillations de l’histoire, en phase avec les événements de 1968, critiquant ouvertement la société de consommation.
L’amour, ultime « aventure antisociale »
En 2006, il avait abandonné l’essai pour écrire un récit. Dans Livres Hebdo 665 (10/11/2006), il racontait qu’il avait envoyé le manuscrit à son éditeur « en lui disant qu’il n’en vendrait pas plus de 500 exemplaires ». Le livre sera pourtant l’un des jolis phénomènes de la rentrée littéraire 2006.
Lettre à D., Histoire d’un amour (Galilée) est une ode à sa femme Dorine, jeune anglaise rencontrée en 1947, et jamais quittée. Elle partage tout avec lui, devient sa première lectrice. Dans cette autobiographie intime, il écrivait : « Tu viens juste d'avoir quatre-vingt-deux ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Récemment, je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien. »
« Cette présence », ajoutait-il, « fut décisive dans la construction d'une oeuvre dont la visibilité ne porte qu'un nom alors qu'elle fut celle d'un couple, le fruit d'un long dialogue ». Alors qu’elle souffrait depuis de nombreuses années d’une maladie évolutive, ils ont préféré partir ensemble avant que la souffrance ne l’emporte sur la vie.