Il était une fois au pays de la BD d'Angoulême, un genre littéraire patrimonial et intemporel qui n’a jamais cessé de se renouveler : le conte. Pour cette édition 2025, le FIBD a décidé de lui accorder les honneurs du Quartier Jeunesse avec une exposition intitulée « La BD règle ses contes. »
« L’objectif ici est de découvrir comment le conte est aujourd’hui réinterprété dans la BD », présente Romain Gallissot, commissaire de l’exposition. « Ce sont cinq univers et cinq démarches différents pour que les enfants se les approprient. » Le conte est souvent identifié comme une porte d’entrée au livre pour les jeunes.
Le renouveau du conte
L’exposition commence tout d’abord par un accompagnement des plus petits avec Émile et Margot d’Anne Didier, Olivier Muller et Olivier Deloye, série de 14 tomes publiée chez Bayard jeunesse et proposant un univers de château et de monstres amicaux. Avec une parution par an, la saga a pris de l’importance au sein du catalogue de la maison sans que le conte y occupe pour autant une place majeure.
Et encore moins le conte classique : « Ils se vendent moins, c’est du vu et revu, analyse Louis Pascal Deforges, directeur général de Bayard Jeunesse. Cela reste un petit segment de vente, au contraire des adaptations qui ne cesseront jamais et qui marchent bien. »
Un genre international
La visite continue pour une ambiance plus sombre avec les Contes fabuleux de la nuit de Miiya Miyako, publiés dans la collection « Le renard doré » chez Rue de Sèvres. Un manga anthologique réunissant 14 récits et vendu à plus de 8 000 exemplaires. « On ne pensait pas trouver ce type de récit au Japon, avoue devant le stand Agathe Jacon, directrice de développement chez Rue de Sèvres. En fouillant dans les créations japonaises, on est tombé sur ce conte, une autrice à la singularité graphique et inédite en France. » « Les contes voyagent sous la forme de versions similaires à travers le monde entier comme Cendrillon par exemple », complète Romain Gallissot.
L'album joue sur les apparences trompeuses des protagonistes et antagonistes, tout comme un autre titre de Rue de Sèvres, reprenant les codes du conte : La cuisine des Ogres de Fabien Vehlmann et Jean-Baptiste Andreae. Écoulé à près de 25 000 unités, ce succès reprend les traits particuliers du conte, entre délicatesse du dessin et cruauté dans le récit avec ici des images très crues. Preuve de l’engouement autour de La cuisine des Ogres, les visiteurs en décollent les affiches sur les murs d’Angoulême pour les installer chez eux.
L'actualité contée
Reprenons la route de l’exposition à travers cette fois-ci l’univers de Benjamin Lacombe, auteur et directeur éditorial chez Albin Michel. Sous fond de manoir, il présente un cabinet de curiosités mettant en scène dans des alcôves des illustrations de monstres, de fantômes et d’ogres. Pour l’auteur, les contes n’ont « jamais été aussi contemporains », à l'instar de La Petite sirène sur le genre et l’identité, ou de La Belle et la Bête sur la question du consentement. Ce sont des sujets devenus actuels.
En parallèle, il était important de réinterpréter certains contes aux regards dépassés. Une opportunité pour Albin Michel de promouvoir son auteur sur plusieurs plans à Angoulême. « Le public peut aller de l’exposition aux dédicaces, c’est vraiment la richesse de ce qu’on peut trouver sur un festival, se réjouit Marion Jablonski, directrice des éditions Albin Michel Jeunesse. On affiche une hausse de 30% de notre chiffre d’affaires général en vente par rapport à 2024. »
L’histoire continue dans l'univers des 7 ours nains d’Émile Bravo, publié chez Seuil Jeunesse. Une parodie du conte mélangeant de nombrex récits historiques comme Le petit chaperon rouge ou Les trois petits cochons. Le 5e tome Les 7 ours nains contre le gros méchant loup a paru après une attente de 13 ans. « C’est une série intemporelle grâce au conte, explique Camille Von Rosenschild, éditrice chez Seuil Jeunesse. Émile Bravo et ses oursons sont universels car il y a plusieurs niveaux de lectures entre le burlesque et le gag pour tout le monde, et le détournement de contes pour les adolescents et adultes. »
Détournement de conte
Une accessibilité illustrée par la composition de la longue file d’attente devant le stand de la maison pour obtenir une dédicace de l’auteur : adultes et enfants patientent pour avoir leur ours nain en dessin. Ce dernier tome a été pensé en réaction au conflit russo-ukrainien que l’on peut retrouver dans l’œuvre sous un certain niveau de lecture.
Seuil Jeunesse compte également publier en 2025 un détournement de la légende russe de Baba-Yaga en publiant un conte sur sa jeunesse. « On n’en sort pas tellement mais ils deviennent de bons livres de fonds. Il y a un regain du conte et des réécritures car ils s’adaptent et collent à la société qui change, comme les héroïnes et l’inclusivité par exemple », ajoute Camille Von Rosenschild.
Enfin, dernier univers au menu, le détournement des légendes arthuriennes par Le Lombard avec La Quête et le premier volume La dame du lac perdu, de Wauter Mannaert et Frédéric Maupomé. La quête d’un adolescent qui remplit tous les critères de l’anti-héros dans un monde merveilleux qui est devenu banal. Le jeune protagoniste doit suivre la destinée de sa famille mais le message transmis est de vivre sa propre vie.
La visite se clôture sur une morale, signée de Frédéric Maupomé, comme de coutume pour ce genre littéraire : « Les contes et les mythes participent d’une culture commune dont il faut se saisir. Car si on ne les réécrit pas, on les perd. » Un message pour les lecteurs et les auteurs.
« Le conte reste une valeur sûre pour le monde éditorial et les jeunes générations d’auteurs avec la chance de pouvoir innover et s’en emparer à leur manière, conclut Romain Gallissot. Il est intergénérationnel, tout le monde peut y trouver son compte. »