Avant-critique Roman

Matteo Melchiorre, "Le Duc" (Métailié)

Matteo Melchiorre - Photo © Alberto Bogo

Matteo Melchiorre, "Le Duc" (Métailié)

L'historien spécialiste du Moyen Âge Matteo Melchiorre a imaginé un roman d'apprentissage plein de mystère sur le retour de l'héritier d'une villa sise dans les hauteurs de l'Italie du Nord.

Parution 4 avril

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Par Sean Rose
Créé le 10.04.2025 à 09h00

La montagne magnifique. Tout le monde ici l'appelle « le Duc ». Ici, à Vallorgàna, petit village montagnard d'Italie. Bien que les titres nobiliaires n'aient plus de valeur juridique dans la Péninsule et que, dût-il en porter un, « comte » eût été la titulature légitime... Ce « titre abusif », explique le narrateur éponyme du premier roman de Matteo Melchiorre, lui vient de son grand-père Ausilio Cimamonte parce que ce dernier se comportait avec « une extraordinaire distinction » et des « exigences de grand prince ». Le trentenaire, rejeton de cette vieille lignée, quitte la ville où il a vendu le palais Cimamonte et s'installe dans leur ancestrale villa sise dans les Préalpes vénètes.

Le Duc s'ouvre sur une scène insolite. Le patricien de Vallorgàna observe une buse qui emporte une corneille, alors que ces temps-ci les corneilles pléthoriques faisaient la loi, « punissant sans pitié toute intrusion ». Le rapace est fréquemment attaqué par les corvidés, cette fois c'est l'inverse. « Insubordination logique » - les buses en avaient marre « des despotiques corneilles ». De quoi ce fait rarissime pourrait-il bien être l'augure ?, s'interroge le narrateur. Lorsqu'il rapporte le curieux spectacle à Nelso, un bûcheron lié à sa famille, au lieu d'avoir une explication sur le phénomène, le Duc s'entend reprocher par l'homme lige de ne pas régler une affaire de bois qui appartient aux Cimamonte : Mario Fastréda est en train d'accaparer le terrain. Le vieux Fastréda, fils d'un paysan pauvre, admiré par les villageois pour son éblouissante ascension sociale, n'a que mépris pour ce « Cimamonte sans domestiques »... Le narrateur aurait pu jouer au grand seigneur, conduite que son penchant pour la tranquillité lui eût dictée, mais Nelso le pousse à la confrontation. À l'harmonie d'une si belle nature succède la discorde entre les individus. Ainsi le Duc se rebiffe-t-il, son sang bleu chauffe. Dans le même temps, le voilà plongé dans l'histoire de ses aïeux, descendants d'un chevalier fait comte au XVe siècle par -Sigismond, roi de Hongrie et empereur du Saint-Empire romain...

Historien spécialiste du Moyen Âge tardif, Matteo Melchiorre entrecroise le passé du clan de son protagoniste et l'intrigue contemporaine sur fond de litige foncier. S'il s'agit bien d'un duel entre le jeune aristocrate et le nouveau riche octogénaire, c'est une lutte qui n'est pas uniquement de classes mais aussi entre générations : le Duc n'est pas défavorable à la réintroduction du loup ; quant à Fastréda, il préside un consortium qui a décidé le tracé d'une route à travers la forêt. Cette fiction déplie un temps apocalyptique, on a affaire à une temporalité grosse de signes cosmiques, où s'affrontent des forces antagonistes. On pense au Désert des Tartares de Dino Buzzati ou à Sur les falaises de marbre d'Ernst Jünger. L'écriture de Melchiorre, tout en élégante souplesse et délicate acuité, nous aspire avec son noble antihéros dans une quête de soi à la tonalité métaphysique, baignée dans le mystère de la montagne, indifférente aux malheurs des hommes.

Matteo Melchiorre
Le Duc
Métailié
Traduit de l’italien par Anne Echenoz et Serge Quadruppani
Tirage: 4 300 ex.
Prix: 23,50 € ; 488 p.
ISBN: 9791022614368

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