Avant-critique Roman

Antoine Albertini, "Un très honnête bandit" (JC Lattès)

Antoine Albertini - Paris - mars 2023 - Photo © Patrice Normand/JC Lattès

Antoine Albertini, "Un très honnête bandit" (JC Lattès)

Avec Un très honnête bandit, Antoine Albertini donne une vision dénuée de romantisme du mythe du bandit corse.

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Par Olivier Mony
Créé le 07.07.2023 à 09h00

Le chant de l'assassin. Tous s'en sont donné à cœur joie. Mérimée bien sûr, mais aussi Maupassant et Dumas. Tous ont chanté gaiement la geste du bandit d'honneur corse, du fugitif échappant dans le maquis à la triste loi des hommes. Mandrin, Robin des bois, version insulaire. Chasse, accord profond avec la nature, clans et familles, des hommes qui murmurent à l'oreille des ânes, joli folklore pour offices de tourisme et auteurs en mal d'inspiration et de vernaculaire. Le mythe est fallacieux et Un très honnête bandit donne une autre image, celle d'une culture endémique et séculaire de la violence. Longtemps responsable de la rubrique « Corse » du Monde (aujourd'hui en charge des affaires de justice pour le même quotidien), natif et tout de même fier de l'être, documentant inlassablement les lignes de tensions et les complexités qui innervent la société de son île natale, Antoine Albertini, sans quitter son « biotope » corse, s'est plaisamment réinventé en romancier hard boiled. Un James Ellroy de Bastia, pour faire vite. Avec Un très honnête bandit, sans doute son livre le plus abouti à ce jour, il tisse un canevas puissant et subtil, entre l'exigence de la rigueur journalistique et la navigation au grand large du romanesque.

De quoi s'agit-il ? D'une histoire classique de vendetta, une histoire vraie et folle à la fois. Soit la vengeance, la cavale et le destin d'un homme. Corse, île d'amour et de mort, 1882. Par un jour d'octobre, on retrouve le corps sans vie d'un cultivateur, Jean-François Rocchini. Il a été tué. Son fils de 19 ans, Xavier, le venge, devient meurtrier à son tour avant de prendre le maquis. Sa cavale durera cinq ans et sera parsemée d'assassinats qui n'auront bientôt ni rimes ni raison, jusqu'à celui de sa cousine adolescente, coupable seulement de s'être refusée à lui. Ces crimes lui vaudront le surnom auprès de la population d'animali, « la bête ». Seul Franchi, un mystérieux gendarme, guère liant et qui n'a pas son pareil au milieu d'une société corrompue jusqu'à l'os pour rendre à sa manière la justice, saura arrêter sa trajectoire criminelle. Bêtes et gens ne se distinguent guère dans cet univers, même si parfois dans l'art exquis d'un coutelier, le courage d'une jeune fille, la crainte d'un bourreau, l'hospitalité d'un berger, apparaissent tout de même, au fil du récit, des traces persistantes d'humanité...

Antoine Albertini évolue au sein de ce si cruel petit monde comme un poisson dans l'eau (un bocal de piranhas en l'occurrence). Il faut saluer ici la force de son écriture, sans laquelle le récit pourrait s'ourler de complaisance. Tout de ce qui agite les hommes − le crime, la traîtrise, l'abjection, la grâce, la confusion des passions − y est à sa juste place. Tout y est dans ce western insulaire, chaque buisson, chaque bête, chaque auberge, chaque nuit sur la montagne. Vraiment, suivez le guide.

Antoine Albertini

JC Lattès
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 21,90 € ; 448 p.
ISBN: 9782709670043

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