Entretien

Arturo Pérez-Reverte : « Je ne suis pas un artiste, mais un écrivain professionnel »

Arturo Pérez-Reverte en 2022 - Photo Oscar Gonzalez - NurPhoto - AFP

Arturo Pérez-Reverte : « Je ne suis pas un artiste, mais un écrivain professionnel »

Arturo Pérez-Reverte est de retour en librairie avec L’Italien, son premier roman chez Gallimard, après 30 ans au Seuil. L’occasion pour l’auteur espagnol, rencontré fin juin à Paris, de revenir sur son parcours et son œuvre.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 19.08.2024 à 10h44

À 72 ans, Arturo Pérez-Reverte est toujours boulimique d’écriture. Son problème, ce n’est pas la page blanche, mais de devoir choisir entre tous les sujets de romans qu’il a en tête, et brûle du désir d’écrire. « Le meilleur est peut-être encore devant moi », dit-il. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Mais le défi ne sera pas facile à relever : depuis 1986 et son premier roman historique, Le Hussard (traduit en français, au Seuil, seulement en 2005), il a publié plus d’une trentaine de livres, essentiellement des romans, vendus à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde. Ses premiers parus en France, au début des années 1990, Le tableau du maître flamand (JC Lattès, 1993), Le maître d’escrime (Seuil, 1994), Club Dumas (JC Lattès, 1995), tous des best-sellers, étaient des polars historiques sophistiqués, truffés de références littéraires, dans la lignée du Nom de la rose et précurseurs de Da Vinci code (paru en 2003). Ensuite, il s’est rapproché du roman d’aventures, tout en continuant de jouer avec les réminiscences littéraires et historiques. C’est le cas de L’Italien, son nouveau, et le premier à paraître chez Gallimard. De passage à Paris fin juin, ce francophile et francophone s’explique sur ce changement d’éditeur, balaie son parcours et son œuvre avec beaucoup de franchise, de simplicité et d’humour.

Livres Hebdo : Après 30 ans de publications au Seuil, comment êtes-vous arrivé chez Gallimard ?

C’est un faisceau de raisons. Cela faisait plusieurs années que Gustavo Guerrero, éditeur du domaine hispanique chez Gallimard, me « draguait », mais j’étais auteur au Seuil, et loyal à mon éditrice, Annie Morvan. Lorsqu’elle est partie, j’ai mis longtemps à prendre ma décision. J’ai un agent, mais c’est moi qui décide ! Je suis alors venu ici rejoindre des amis, Mario Vargas Llosa, ou Manuel Javois, un espoir de la littérature espagnole. Et puis, Gallimard a toujours été ma référence intellectuelle et sentimentale. J’ai chez moi tous les volumes de « La Pléiade », même si je n’y serai jamais ! En revanche, toute mon œuvre va être progressivement transférée en Folio. À commencer par Le tableau du maître flamand, qui paraît en même temps que L’Italien. Club Dumas suivra.

Club Dumas demeure votre best-seller ?

Oui, et il a été relancé par son adaptation au cinéma en 1999, sous le titre La neuvième porte, par Roman Polanski, avec Johnny Depp dans le rôle du héros, Corso, mais devenu Dean, au lieu de Lucas ! Le film n’est pas mal, mais j’ai refusé de collaborer au scénario, ce n’est pas mon métier.

« Il faut que mon lecteur d’origine me reconnaisse et me reste fidèle, mais aussi que je touche une nouvelle génération »

L’intrigue avait été amputée de tout son côté « quiz littéraire » autour du manuscrit d’un chapitre des Trois mousquetaires, et poussée vers le côté ésotérique. Une simplification que vous approuvez, et avez vous-même pratiquée dans vos livres récents ?

Absolument. Cela avait commencé avec les Aventures du capitaine Alatriste (7 volumes, au Seuil, de 1997 à 2012), puis la trilogie Falco (Seuil, 2018-2020), et Sidi (Seuil, 2023). Une intrigue simplifiée, un style épuré, il faut que mon lecteur d’origine me reconnaisse et me reste fidèle, mais aussi que je touche une nouvelle génération, avec une littérature plus efficace, moins de réflexions, plus de dialogues…

Comment choisissez-vous vos sujets ?

Mon succès me donne une liberté totale. Ce sont plutôt les sujets qui viennent à moi. C’est le choix qui est douloureux. Je ne suis pas un artiste, mais un écrivain professionnel, à son bureau huit heures par jour tous les jours. Tant que je serai en forme, je raconterai des histoires, faites pour distraire et faire réfléchir, sans jugement moral. Je raconte des histoires dans le monde tel qu’il est, et mon but n’est pas de le changer. À chaque fois que je commence un nouveau roman, je me dis : « C’est celui que je ne finirai pas ».

Et vous le terminez…

Jusqu’ici, oui ! Je viens d’en achever un qui paraît en Espagne le 7 octobre, et dont je ne vous dirai pas le titre. Et je suis déjà sur le suivant.

« On apprend plus des méchants que des bons. Ils font entrer dans le territoire du mal, pénétrer le côté obscur »

Diriez-vous de vos romans qu’ils sont essentiellement « masculins » ?

C’est un peu une littérature de « mecs », peut-être parce que j’ai été durant 20 ans reporter de guerre pour la presse et la télé espagnoles. Mais il y a toujours, dans mes romans, des femmes fortes, qui se battent, se débrouillent. C’est pour cela que j’ai beaucoup de lectrices. Tenez, dans L’Italien, le vrai héros, ce n’est pas Teseo, mais Elena. Lui est inculte, il n’a aucun charme, mais il est beau ! C’est le regard de la femme qui construit le héros. C’est elle qui a le vrai panache, et sans elle, il ne serait rien.

Après Falco le mercenaire, redoutable agent secret travaillant pour les franquistes durant la guerre civile espagnole, voici Teseo, le plongeur de combat italien, bombe humaine infiltrée dans le port de Gibraltar, territoire anglais, en 1942-1943, pour faire sauter les bateaux de la Royal Navy, ennemie des fascistes. Des héros « négatifs » ?

Ce sont des héros « politiquement incorrects », qui ont choisi le mauvais camp au regard de l’Histoire. J’en ai beaucoup rencontrés quand j’étais reporter de guerre. On apprend plus des méchants que des bons. Ils font entrer dans le territoire du mal, pénétrer le côté obscur. C’est le plus intéressant pour un romancier, et c’est ce que j’ai essayé de faire dans tous mes romans.

À travers le texte, on retrouve vos propres obsessions, vos références culturelles, par exemple la mythologie antique (Hélène et Thésée…), l’Iliade et l’Odyssée, votre passion pour la littérature et les livres… 

Quand j’ai « couvert » mes premières guerres, en 1974 (Chypre) et au Liban (1976), je regardais des scènes que j’avais déjà lues dans Homère. J’ai passé ma vie avec un sac à dos, mais aujourd’hui je voyage seulement dans l’Empire romain, et, avec mon bateau, à travers la Méditerranée, mare nostrum. Dans ma maison de Madrid, j’ai 34 000 volumes dans ma bibliothèque, surtout des livres d’histoire, des classiques grecs et latins, et des romans. Dans une autre vie, j’aurais pu être « mercenaire de la bibliophilie », chasseur de livres comme Corso, ou libraire comme Elena.

Arturo Pérez-Reverte
L’Italien
Traduit de l’espagnol par Robert Amutio
« Du monde entier », Gallimard
440 p., 24 euros
En librairie le 15 août 2024

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