Il y a le Nigeria, l’un des plus gros producteurs pétroliers d’Afrique ; le Niger, l’un des plus longs fleuves du monde ; et puis il y a le delta du Niger, marécageux et menaçant, asphyxié par les puits de forage, les fuites des pipelines et les gaz des torchères. Dans les méandres et les miasmes de cette région, Rufus, un jeune journaliste, part à la recherche d’une expatriée anglaise mystérieusement kidnappée. A ses côtés, Zaq, reporter émérite tombé dans l’alcoolisme, qui grelotte de fièvre. Entre les brusques colères des forces armées gouvernementales, la présence fantomatique et mortifère des rebelles et l’eau empoisonnée, l’enquête ne sera pas simple… Jouant à la fois avec les codes du roman d’initiation et ceux du roman d’aventures, Du pétrole sur l’eau, troisième roman d’Helon Habila, est bien plus exactement l’autopsie d’un désastre. Car la colonisation des peuples a laissé place à la spoliation des sols par les compagnies pétrolières, peu regardantes des conséquences catastrophiques de l’extraction. En plus de l’empoisonnement des bêtes et des cultures, les hommes, cédant à la tentation de l’argent pour vendre leurs villages, contractent de nouveaux virus, quand ils ne périssent pas dans des incendies dévastateurs. "Ceux que la maladie ne tue pas succombent à la violence. Je me demande parfois ce que je fais ici ; croyez-moi, un fossoyeur y serait plus utile qu’un médecin", conclut, désabusé, l’un des rares personnages optimistes du roman. A l’inextricable réseau d’intérêts contradictoires, dont le meilleur exemple est sans doute celui des soldats gouvernementaux qui, combattant de peu recommandables rebelles, font en même temps le jeu des compagnies pétrolières et contribuent à la destruction de leur propre pays, s’ajoute le non moins complexe cœur humain. L’initiation de Rufus est finalement celle du deuil en même temps que l’espoir. Dans Au cœur des ténèbres, Conrad décrivait une sortie de l’humanité par la jungle ; on peut se demander, à la lecture de Du pétrole sur l’eau, comment l’humanité pourra échapper à l’inhumaine civilisation. Fanny Taillandier
