C’est étonnant de trouver une telle librairie à Aubenas." La phrase, souvent entendue par Stéphane Crozier à propos de son magasin spécialisé jeunesse, Le Tiers-Temps, colle parfaitement à la particularité du seul pôle urbain du sud de l’Ardèche. Moins peuplée qu’Annonay, 13 000 Albenassiens contre 17 000 Annonéens, elle affiche pourtant à son compteur six librairies, contre deux pour son équivalente du nord du département. Et ce malgré la fermeture récente du Chapitre que l’ouverture d’une Maison de la presse avec un fort rayon livre généraliste tente toutefois, depuis la mi-décembre, de compenser.
Un public qui dépasse Aubenas.
Pour expliquer cette "anomalie", il faut d’abord se pencher du côté de la mairie où Jean-Pierre Constant (UMP) officie depuis 2001. Aubenas consacre en effet 15 % de son budget global, soit 2 millions d’euros, à la culture et au patrimoine, ce qui en fait "le second budget de la ville", souligne avec fierté Jean-Yves Meyer, premier adjoint chargé de la culture depuis treize ans. Une enveloppe dans laquelle le livre occupe une place prépondérante. Avec son budget annuel de 800 000 euros, la médiathèque Jean-Ferrat, qui a vu le jour en 2007, est en effet le fer de lance de la politique municipale. Véritable pôle culturel de la ville, elle draine, grâce à ses 2 072 m2, à ses 96 000 documents et à sa centaine d’animations annuelles, un public élargi qui dépasse nettement les strictes limites d’Aubenas. Une ambition initiale qui figurait dès le départ dans le cahier des charges de la médiathèque, et dont le fonctionnement, original, reflète cette volonté : elle est financée à 50 % par l’intercommunalité qui reverse un fonds de concours à la ville chaque année.Dotée de 18 agents et cadres qualifiés, dont deux personnes chargées du service animation, la médiathèque se veut "un lieu de conseil, d’animation, de rencontres et de sociabilité ouvert à tous et un opérateur structurant pour tout le territoire", précise Marie-Laure Alliot-Lugaz, qui la dirige depuis dix ans. Pour cela, la directrice s’appuie également sur un tissu associatif riche, qui la sollicite "en permanence et au-delà même de [sa] capacité de réponse", et elle n’hésite pas à organiser dans ses murs des événements qui "cassent les codes pour désacraliser le lieu", comme des défilés de mode ou des concerts.
Contes et BD.
Pour autant, l’action de la mairie ne s’arrête pas aux portes de sa bibliothèque. Au printemps, deux temps forts sont réservés au livre. En juin, l’heure est au conte avec une vingtaine de soirées disséminées au sein de l’intercommunalité, alors que le dernier week-end de mai porte la BD à l’honneur avec le Carrefour européen du 9e art et de l’image. Imaginé par Claude Moliterni, cofondateur du Festival d’Angoulême, et porté par Jean-Yves Meyer, l’événement attire plus de 1 500 visiteurs grâce à ses dédicaces, ses expositions, ses tables rondes et ses ateliers scolaires animés par une partie des auteurs invités, parmi lesquels figurent de grands noms : Tardi, Druillet, Van Hamme, Julliard, Mézières, Jul ou Lax.Toujours portée par la mairie mais ouverte sur l’ensemble de la culture d’un pays, la semaine des "invitations", qui a eu lieu fin février et accueille cette année la Roumanie, offre également l’occasion d’apporter un éclairage sur la littérature étrangère. Venu dans les bagages du poète et slameur Julien Delmaire pour l’édition dédiée à l’Afrique de l’Ouest en 2011, le libraire lillois Maxime Forcioli a été particulièrement séduit par l’accueil et l’engouement du public pour le livre. Un an plus tard, il saute le pas et reprend Le Grand café français d’Aubenas pour en faire un café-librairie qui compte aujourd’hui un stock de plus de 6 000 titres teintés d’éclectisme. Avec une dizaine d’animations par mois, dont certaines élaborées en partenariat avec les acteurs de la mairie dont la salle Le Bournot, centre culturel local, l’établissement est devenu l’un des opérateurs marquants de la ville. Fin octobre, Maxime Forcioli a ainsi mis sur pied le Bazar rock, un mini festival qui réunit musique et littérature, un alliage qu’il aime à reproduire afin "d’éviter la gentrification du lieu lié au livre".