Avant-critique Roman

Aurélien Delsaux, "Requiem pour la classe moyenne" (Noir sur Blanc) : Puisque tu pars

Aurélien Delsaux, "Requiem pour la classe moyenne" (Noir sur Blanc) : Puisque tu pars

Dans ce roman à l'humour sagace, le narrateur d'Aurélien Delsaux enterre ses rêves de bonheur petit-bourgeois et l'idole de son adolescence : Jean-Jacques Goldman.

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Par Sean Rose
Créé le 04.01.2023 à 09h00

La route du retour des vacances défile comme un programme bien rodé. Il est au volant. À ses côtés, Blanche, à l'arrière, Laetitia et Félix. Leurs enfants grandissent, quant à lui et Blanche, ils ont toujours une vie de couple, sinon épanouie, du moins tacite : ils font l'amour sans se parler, l'amour a-t-il besoin de mots ? Rentré chez eux, pas de cambriolage grâce au système de sécurité performant qu'il a installé. Ses cauchemars peuvent s'en aller. Jusque-là tout va bien. Certes, au labo, c'est un peu l'ennui. Étienne, le narrateur de Requiem pour la classe moyenne d'Aurélien Delsaux, travaille pour une entreprise pharmaceutique qui teste les nouveaux médicaments sur des cobayes humains. Le serment d'Hippocrate est loin, l'agent de Big Pharma est surtout embêté de ne pas se souvenir du nom des collègues avec qui il déjeune. Mais les choses ont beau reprendre leur cours après la césure estivale, une nouvelle entendue à la radio alors qu'il conduisait sa petite famille vers la normalité de leur quotidien l'a bouleversé : Jean-Jacques Goldman est mort. Jean-Jacques Goldman, l'idole de sa jeunesse. Et le chanteur d'Au bout de mes rêves, par sa disparition soudaine, d'enterrer les siens à lui, de rêves - les illusions d'Étienne prennent un coup de pelle.

Son épouse, avocate, se sent menacée par quelque ancien client mal intentionné ou autres rôdeurs vicieux, sa fille aînée devenue femme s'entiche d'un homme plus vieux prêt à pallier l'écart d'âge avec moult argent, le petit dernier se plonge dans la Bible. « Dieu te voit, Étienne ! » sermonne-t-il son père... La maison du bonheur se lézarde. Ce vide qui s'immisce dans la vie du protagoniste en deuil de Goldman ne cesse de gagner du terrain. La fissure devient béance. Un jour, Blanche décide de prendre un chien pour calmer ses peurs et préfère dormir avec le rottweiler qu'avec Étienne. Solitude et insomnie sont désormais son lot. Pour se consoler, il pourrait toujours mettre un morceau de son ancien « héros personnel et personnalité préférée des Français plus de vingt années consécutives », mais c'est à ce disque offert par son beau-père qu'Étienne songe. Un requiem d'un contemporain de Purcell et dont les mouvements scandent ce roman des longs adieux au rêve de confort : chaque entrée de chapitre reprend une citation de la messe des morts, tirée du missel anglican du XVIIe siècle. In the midst of life we are in death... « Au mitan de la vie nous sommes en la mort »...

Aurélien Delsaux, par le truchement de sa nouvelle fiction, signe une vanité. À l'instar de ces natures mortes hollandaises, Requiem pour la classe moyenne nous rappelle la fuite du temps sous l'aspect d'une photo de famille avec maison et chien. Dans son premier roman Madame Diogène (Albin Michel, 2014), l'héroïne inspirée du philosophe cynique de l'Antiquité vivait parmi les immondices et rejetait les conventions. Ici Delsaux, sourire en coin, dit que tout n'est que cendres, mais son ironie n'est pas amère, et sa sagesse point austère. Les cendres sont aussi l'engrais qui fait pousser les plantes. L'abandon est don- reconnexion avec la grâce de la nature et du vivant.

Aurélien Delsaux
Requiem pour la classe moyenne
Noir sur Blanc
Tirage: 3 200 ex.
Prix: 20 € ; 224 p.
ISBN: 9782882508058

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