Interview

Jean-Loup Champion : « Annie Le Brun va manquer à tout le monde par son non-conformisme »

Jean-Loup Champion est artiste et éditeur de chez Gallimard. Il y dirige notamment la collection d'essais "Art et artistes". - Photo Capture d'écran à partir de la vidéo de Nikolaï Saoulski

Jean-Loup Champion : « Annie Le Brun va manquer à tout le monde par son non-conformisme »

Directeur de la collection « Art et artistes » de chez Gallimard, Jean-Loup Champion a suivi Annie Le Brun pendant près de 20 ans. Ému par sa disparition subite lundi 29 juillet, l’éditeur raconte à Livres Hebdo l’artiste rebelle et l’amie passionnée qu’elle était.

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Par Élodie Carreira
Créé le 02.08.2024 à 14h32

Comment avez-vous réagi à la disparition subite d’Annie Le Brun ?

C’est très triste et totalement inattendu d’autant plus qu’Annie était en pleine forme. Elle était en Croatie, en train de terminer son livre sur la marchandisation des images et l’intelligence artificielle. J’ai appris qu’elle avait eu une occlusion intestinale et sa première opération ne s’est apparemment pas bien passée. Elle a donc dû être réopérée, mais n’y a pas survécu… C’était quelqu’un de très aimé, et les nombreux hommages qui lui sont rendus depuis la nouvelle de son décès en témoigne.

Vous connaissiez Annie Le Brun depuis près de 20 ans. Quels liens vous unissaient ?

J’ai connu Annie Le Brun, autour de 2005, chez Gallimard. Elle venait régulièrement avec son mari, le poète Radovan Ivšić. Ils étaient absolument merveilleux tous les deux, c’était un couple très fusionnel. Notre rencontre a été un coup de foudre. Nous nous sommes donc beaucoup vus par la suite et nous sommes devenus très amis.

C’était très simple de travailler avec Annie. Elle écrivait extrêmement bien et savait ce qu’elle voulait. En tant qu’éditeur de la collection Blanche, puis de la collection « Arts et artistes », j’ai publié deux de ses ouvrages, dont Les arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo (Gallimard, 2012). Elle avait une véritable adoration pour les textes comme les dessins d’Hugo. Elle avait d’ailleurs écrit un texte merveilleux à l’occasion d’une exposition à la Maison Hugo

« Elle était une poète très attachée à l’esprit surréaliste »

Quel titre d’Annie Le Brun vous a le plus marqué ?

Je pense que tout le monde est plutôt d’accord avec ça, mais son ouvrage Soudain un bloc d’abîme, Sade (Folio Essais/Gallimard) a marqué plusieurs générations. Il a même été plusieurs fois réédité tout comme ses poèmes, dont un grand nombre ont été réunis dans le recueil Ombre pour ombre qui a fait son entrée, en janvier dernier, dans la collection « Poésie Gallimard ».

Comment définiriez-vous l’artiste, mais aussi la femme qu’elle était ?

En tant qu’amie, Annie me faisait beaucoup rire. Elle avait une langue bien pendue et pas toujours bienveillante. Chose que beaucoup ignorent, elle adorait la mode et était très coquette, souvent habillée des confections d’Issey Miyake. Évidemment, elle était une poète très attachée à l’esprit surréaliste, qu’elle a gardé jusqu’à la fin. Mais elle était également capable de traiter de beaucoup de sujets, toujours avec fougue et passion.

Elle n’était pas qu’une féroce critique qui faisait peur à tout le monde. Seulement, quand elle trouvait que la civilisation était en danger, elle partait en croisade. Elle racontait aussi quelques vacheries. Annie n’aimait pas la médiocrité, alors quand des romans grand public, qui ne sont pas de la grande littérature, rencontraient beaucoup de succès, ça l’agaçait (rires). On ne peut pas dire non plus qu’elle était très féministe. Pourtant, ça ne l’a jamais empêché d’être très amie avec Laure Murat, qui est plutôt engagée. Il fallait simplement éviter les sujets qui fâchent. Et puis, c’était aussi quelqu’un de très enthousiaste, notamment avec ses amis. Elle ne ratait aucune des représentations de Benjamin Lazar par exemple. Finalement, c’est une personnalité qui va manquer à tout le monde par son non-conformisme.

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