À l'automne 2006, Jonathan Littell marquait à double titre l'histoire du Goncourt. Parce qu'il était le premier Américain à remporter la prestigieuse récompense - il a obtenu la nationalité française quelques mois plus tard -, et parce que Les Bienveillantes étaient arrivées sur le bureau d'Antoine Gallimard par l'intermédiaire de son agent, le Britannique Andrew Nurnberg. Ce dernier n'a pas tardé à recruter Eric Reinhardt, Frédéric Beigbeder ou Assia Djebar, pendant que l'Américain Andrew Wylie mettait la main sur Christine Angot et Philippe Djian à la même période, profitant du faible contingent d'agents français.
Quinze ans après ces exemples flamboyants mais marginaux, les agents étrangers ont-ils intensifié la chasse en terres hexagonales ? « Nous avons toujours été ouverts aux auteurs francophones, rappelle la Catalane Anna Soler-Pont, fondatrice en 1992 de l'agence internationale Pontas, qui a découvert le journaliste et auteur de polars nordiques Olivier Truc, et l'a apporté aux éditions Métailié. Mais ce sont surtout les auteurs qui viennent vers nous, pour que l'on gère leur carrière à l'international, à 360°, pas seulement en France », raconte-t-elle dans un français impeccable. Avec son associé Marc de Gouvenain, qui a longtemps été éditeur chez Actes Sud, elle représente aussi Luce Michel, Christophe Carlier ou le romancier congolais Fiston Mwanza Mujila, et applaudit le bourgeonnement des agences parisiennes, « des managers pour les auteurs, capables de les défendre, de les protéger, de râler quand il faut ».
Profil international
La maîtrise de la langue et la connaissance fine de notre marché sont loin d'être anecdotiques, pour l'agent allemand Michael Gaeb, qui constate que « peu d'agences allemandes s'intéressent aux auteurs francophones ». De fait, si les écrivains français sont de plus en plus nombreux à signer avec des agences étrangères, on trouve souvent derrière ces contrats des professionnels français implantés dans de grosses agences anglo-saxonnes, ou passés par Saint-Germain-des-Prés comme la pionnière Susanna Lea, qui représente notamment Marc Lévy, Adélaïde de Clermont-Tonnerre ou Ingrid Betancourt. Laurence Laluyaux, agente et directrice des droits étrangers chez Rogers, Coleridge & White (RCW), installée depuis vingt ans à Londres, compte dans sa liste des auteurs prestigieux tels que la Polonaise Olga Tokarczuk ou László Krasznahorkai. Et de plus en plus d'auteurs français, dont Jean-Baptiste Del Amo, qu'elle avait rencontré lors de la présentation de Règne animal (Gallimard, 2016) au Royaume-Uni, et qui vient de remporter le prix du Roman Fnac pour Le fils de l'homme. Elle remarque aussi un profil déjà cosmopolite de ses auteurs français, à l'image de Pierre Ducrozet, tout juste signé et qui vit à Barcelone, ou Jakuta Alikavazovic, d'origine bosnienne et monténégrine, à qui elle a apporté une « présence plus active, avec des festivals et de la presse étrangère ».
« Quand Édouard Louis a pris Andrew Wylie comme agent, cela a choqué pas mal de monde, mais il a un profil très international », observe-t-elle. C'est aussi l'ouverture vers l'étranger que recherchait la romancière Marie Pavlenko, quand elle s'est mise en quête d'un agent. « Je n'étais pas traduite, d'autres auteurs que je jugeais à peu près à mon niveau l'étaient, et cela m'interrogeait », raconte celle qui a mis son destin entre les mains de Roxane Edouard, de l'agence londonienne Curtis Brown. Résultat : depuis 2018, ses œuvres ont été cédées dans une dizaine de langues grâce à son agente, dont elle apprécie le « regard global », d'autant que l'écrivaine navigue entre segments adulte et young adult chez Flammarion. La romancière jeunesse Laura Nsafou, l'auteur et éditeur Martin Page, la podcasteuse Axelle Jah Njiké... Roxane Edouard et sa collègue Claire Nozières, l'autre Française de Curtis Brown, représentent à elles deux une trentaine d'auteurs tricolores, et se félicitent d'un changement de mentalités : « À plusieurs reprises, ce sont des éditeurs français qui nous ont recommandées. »