« Quand on raconte l'amour, on le détruit, on le falsifie. L'amour est inénarrable, on ne le raconte que lorsqu'il est passé », écrit Isaac Rosa. C'est exactement ce qu'il réussit à faire dans ce roman exceptionnel, qui commence par l'épilogue, pour aboutir au prologue. Angela et Antonio se sont aimés à l'infini. Soit treize ans d'union et de fusion. Ils ont construit une famille solide, mais leurs sentiments n'ont pas suffi. Chacun renferme ses douleurs, ses doutes, ses non-dits, ses reproches et ses incompréhensions. « J'ignore à quel moment nous nous sommes transformés en deux personnages de mauvaise comédie conjugale », note le mari désabusé. Alors qu'il erre dans leur appartement désert, il songe au passé qui a peuplé ces murs. Il a déjà connu un divorce houleux, mais il ne s'explique pas la lassitude qui a tout détruit. « Une séparation est aussi, est surtout la perte d'un récit commun », soutient Angela. C'est pourquoi l'écrivain a l'idée de mêler leurs voix. Tantôt elles s'alternent, tantôt elles se chevauchent pour traduire leurs psychés respectives.
Que de malentendus, surtout si les mots sont tus. Là, ils coulent à flots pour saisir la brisure malgré l'omniprésence du désir ou la puissance de l'amour. Les crises professionnelles, les enfants, la fatigue quotidienne ou l'érosion des corps ont eu raison de leur passion. Puis, il y a ce qu'Antonio nomme « CeQuiNousEtaitArrivé ». Cet acte irréparable qui a érigé une digue et creusé des brèches apparentes. Loin d'être dans la fuite, Angela se confronter à tous ses démons, toutes ses interrogations. Pourquoi le conte de fées a-t-il mal tourné ? La quarantaine a exacerbé les frustrations. « Nous vivons en permanence dans l'insatisfaction, déçus par la vie que nous menons et attirés par les vies que nous pourrions vivre », avoue Antonio. Un miroir aux alouettes accentué par Internet et les réseaux sociaux. Le burn-out conjugal les a aliénés, alors qu'ils connaissaient leurs corps et de leurs pensées par cœur. Du moins, en apparence... L'Autre reste un mystère dense. Peut-être que le couple éternel n'est qu'un leurre. Isaac Rosa le décortique dans ses plus belles et ses plus sombres heures. Ainsi, ce quadra espagnol compose l'une des plus magnifiques histoires d'amour de cette décennie.
Heureuse fin - Traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu
Christian Bourgois
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 21 euros ; 320 p.
ISBN: 9782267031904