Rentrée hiver 2019

Avant portrait: Anne-France Dautheville, Mamie moto

Anne-France Dautheville. - Photo Olivier Dion

Avant portrait: Anne-France Dautheville, Mamie moto

Après un tour du monde en solitaire dans les années 1970, Anne-France Dautheville raconte son parcours motorisé et sa philosophie sur deux roues.

J’achète l’article 1.5 €

Par Laurent Lemire
Créé le 25.12.2018 à 10h41

Des yeux bleus, une parole vive, le rire aux lèvres, Anne-France Dautheville assume son statut de mamie motarde. « Etre vieille, c'est savoir qu'on a vécu une époque. » Elle ne la regrette pas. Pas plus que ses rencontres, ses amours et ses deux roues. Des motos, elle en a eu, notamment cette BMW 800, son « antique teutonne » de 220 kilos avec laquelle elle entreprend un tour de France en 2003, pour ses 60 ans, dans le but de rendre visite à ses amis. « Etre vieille me permet de parler à tout le monde. » Elle adore ça, surtout depuis qu'elle ne roule plus. Désormais, elle cause. « Le jour où je mourrai, je veux pouvoir me dire que j'ai eu une vie heureuse. »

Un travail rémunérateur dans la pub

Avant cela, il y eut la vie de bureau, dans la pub, à Paris. Un travail rémunérateur et puis la question « combien paies-tu ton argent ? ». Bien trop cher, estime-t-elle. « J'étouffais. » En 1972, elle plaque tout pour s'inscrire à un raid moto entre Paris et Ispahan. A 28 ans, elle est la seule femme sur 92 pilotes. Elle tombe au bout de 750 kilomètres, mais se relève. Depuis l'Iran, elle poursuit avec quelques motards en Afghanistan puis au Pakistan. A son retour en France, elle est victime de rumeurs sexistes. Déterminée à poursuivre l'aventure, elle annonce dans la presse qu'elle repart, seule, et pour un tour du monde. « J'ai compris deux choses après ce premier raid. Que je suis faite pour voyager seule et que je dois pouvoir relever seule ma moto. » Elle troque sa Guzzi de 240 kilos pour une Kawasaki bien plus légère et sillonne le Canada, l'Alaska, le Japon, l'Australie, l'Inde. Elle est la première femme à accomplir cet exploit en 1973. « Il ne faut jamais réfléchir quand on conduit une
moto.
» Sur sa machine, elle pilote à l'instinct et à l'oreille. « Le bonheur est dans l'errance », assure cette femme issue d'une grande famille normande qui remonterait aux Vikings. « Je fais de la moto comme ils faisaient du bateau. »

Ces années soixante-dix lui ouvrent le monde. « Je suis née en Afghanistan, entre Kandahar et Ghazni, lorsque j'ai compris en roulant à travers ces montagnes brunes que je ne retournerai plus dans la pub. » Récemment, dans le métro parisien, elle a montré à un Afghan des photos de son pays dans ces années où l'on ne parlait pas de migrants, de peurs, de terrorisme.

En 1981, le carnet de change qui limitait à 5 000 francs annuels les frais de déplacement à l'étranger lui interdit ce genre de périples. Elle fait des reportages pour des magazines, commence à écrire des romans et passe son permis voiture à 40 ans. En 2012, elle est dans son auto lorsqu'un véhicule la percute violemment. Le tour de France à moto qu'elle envisageait pour ses 70 ans se transforme en voyage aux urgences de l'hôpital Avicenne de Bobigny. Cassée, brisée, elle souffre aujourd'hui d'une polyarthrite rhumatoïde qui lui interdit de reprendre le guidon.

Une école de vie

« Le voyage n'a aucune utilité si le voyageur n'en fait pas quelque chose. » De la moto, elle a fait une école de vie. « Je sais partir, mais je sais revenir. » Pour écrire jusqu'à quatre heures du matin, pour cultiver son jardin dans la Brie, pour profiter de ses chats. Elle a pris du plaisir à se promener sur sa moto et à y vieillir. « Je suis vieille, parce que les garçons ne me voient plus. » Elle aurait aimé connaître Burt Lancaster quand il avait 35 ans. Elle aura connu des gens qui l'auront aidée à changer un pneu, à redémarrer et à poursuivre sa route.

Alors elle se souvient. Elle évoque ces pistes qui traversaient les déserts, les steppes et les villages. Elle repart, dans ses voyages en solitaire, pleins d'amis magnifiques et de rêves d'enfants. « Je m'appelle Ondine, j'ai 15 ans et je n'aurai jamais mal si je suis sur une moto. » Une vie pétaradante. Pleins gaz.

Anne-France Dautheville
La vieille qui conduisait des motos
Payot
Tirage: Array
Prix: 16 euros
ISBN: 9782228922753

En dates

1944

Naissance à Paris

1973

Tour du monde en Kawasaki 100cc

1975

« Et j'ai suivi le vent » (Flammarion)

2003

Tour de France en BMW 800

2004

« Le grand dictionnaire de mon petit jardin » (Minerva)

Les dernières
actualités