3 mars > Nouvelles Corée du Nord

La parution de ce recueil de sept nouvelles constitue un véritable événement éditorial. C’est, sauf erreur ou omission, la première fois que passe en Occident, dans des circonstances aussi clandestines que rocambolesques, l’œuvre d’un écrivain coréen du Nord qui vit encore dans son pays. Bandi, pseudonyme qui signifie "luciole" et symbolise une petite lueur d’espoir au royaume des ténèbres, serait né en 1950. Après une enfance passée en Chine, retour à la maison. Il devient ouvrier et commence à écrire des textes politiquement corrects, puisqu’ils sont publiés dans des magazines officiels. Le voilà reconnu.

Mais c’est à partir de 1994, l’année du décès du Grand Leader Kim Il-sung, lequel coïncida avec une épouvantable famine, que Bandi prend conscience de l’enfer où il vit et décide de devenir, en quelque sorte, "le porte-parole des habitants de Corée du Nord". Il compose des nouvelles à la fois réalistes, racontant sans fard le quotidien de ses compatriotes, tragiques dans la peinture du carcan du Parti au pouvoir qui enserre le pays dans la pire des dictatures, l’un des derniers régimes marxistes au monde, et drôles aussi : Bandi manie volontiers l’humour, la moquerie, l’ironie, face aux puissants, aux corrompus, aux zélateurs du Parti, à ses chiens de garde. Non point les dirigeants eux-mêmes, inaccessibles - sauf quand Kim Il-sung en personne prend en stop Madame Oh, une ancienne professeure d’histoire qui se rend auprès de sa fille sur le point d’accoucher. Mais les millions de tyranneaux locaux qu’ils ont mis en place, mouchards, calomniateurs, fanatiques. Le système a fait ses preuves en Chine.

Quelques années plus tard, après tant d’espoirs déçus et de frustration, l’écrivain parvient à faire sortir ses manuscrits vers la Corée du Sud. Publiées à Séoul en 2014, ses nouvelles, d’après le postfacier Pierre Rigoulot, qui le déplore, n’ont pas eu le retentissement escompté. Gêne, aveuglement, prudence ? L’Occident n’a pas cette problématique. Mais toute cette histoire, révèle aussi Rigoulot, ne pourrait être qu’un camouflage. Car si Bandi était démasqué par le régime des Kim, il risquerait sa peau, tant ses textes sont sulfureux, bien qu’écrits de 1989 à 1995. Peut-être le quotidien des Nord-Coréens s’est-il amélioré depuis. Mais Seol Yong-su, le vieil ouvrier modèle et décoré, stigmatisé pour avoir refusé de couper les branches de son orme fétiche qui gênaient un câble téléphonique de la police, Myeong-cheol, arrêté, condamné à trois semaines de travaux forcés pour avoir tenté d’aller voir, sans permis de voyage, sa mère mourante, ou Go Insik, directeur technique d’une usine de pâte de soja rendu responsable par le régime de la pénurie de fabrication, et qui en devient fou, sont leurs pères, leurs frères. Tout comme Bandi, qui brocarde Marx, le "barbu européen" qui a causé tant de maux, et appelle à "arracher de la planète, pour toujours", le "champignon rouge" du communisme nord-coréen, toxique. Ainsi soit-il. J.-C. P.

Les dernières
actualités