Memento mori. En 2046, une poignée de militants luttent pour préserver ce qui reste de banquise en Antarctique. C'est le cas de Marie, qui a envoyé là-bas un duo d'auteurs pour raconter leur quotidien et sensibiliser la population à la fonte des glaces. Mais Marie doit surtout faire face aux séquelles neurologiques d'un accident : impossible de se rappeler les événements précédant les dernières cinquante-six heures...

Un pays dirigé par une droite chrétienne radicale qui écrase dans la violence toute opposition. Un capitalisme désinhibé servant de boussole à l'individualisme général. Une défiance croissante envers la science et les médias. Non, il ne s'agit pas des États-Unis de Donald Trump, mais de la France de demain imaginée par Benjamin Adam, qui prédit des inondations massives et des écoles baptisées Vincent Bolloré. Dans ce décor pas si fantaisiste, il compose une fiction touchante doublée d'une réflexion intime. D'un côté, Marie, son petit garçon et son amoureux, à l'heure où sa mémoire se délite. De l'autre, des auteurs de BD au pôle Sud qui s'interrogent sur le sens de continuer à produire des récits alors que la planète agonise et que ses habitants ont choisi le déni. On retrouve là des thèmes abordés dans le magistral Soon, album d'anticipation terrible et crédible écrit avec Thomas Cadène. Ici, Benjamin Adam se projette moins loin dans le futur, mais c'est pour mieux parler des angoisses du présent.

Dans une structure narrative aboutie, et avec sa ligne fluide soulignée d'un jeu de couleurs original, l'auteur nantais aborde en particulier la question de la mémoire. Celle de tous les jours perdue par son héroïne, celle des siècles d'avancées scientifiques menacée par les tenants de la post-vérité, celle manipulée par un Big Brother qui ne dit pas son nom afin d'entretenir un semblant de cohésion nationale autour du souvenir de prétendus martyrs... Et celle dont se nourrit la fiction, pour produire un imaginaire qu'on pensait indispensable à la survie de l'Homme mais qui pourrait se dissoudre en même temps que les derniers icebergs. Avec ce diptyque passionnant, Benjamin Adam signe son projet le plus personnel et ambitieux, et ouvre idéalement la collection « Charivari » des éditions Dargaud.