Pour une nouvelle sociologie. Le livre en impose par ses références dans de nombreux champs du savoir. Certains seront intimidés et n'oseront pas pousser la porte. Ils auraient tort. Car, passé les premières pages de l'introduction, le grand voyage commence. Bernard Lahire nous sert de guide efficace dans ce périple intellectuel pas comme les autres, à la fois synthèse magistrale et manifeste pour une « science sociale du vivant ».

Par tradition, les sociologues se sont toujours méfiés des lois, des théories et des invariants parce que leur science prenait justement en compte les variations d'une société à une autre. Au contraire, Bernard Lahire souhaite mettre en évidence des constantes, des mécanismes généraux et des impératifs qui traversent les époques. Face à ce qu'il considère comme un « aveuglement », il veut redonner une vue nouvelle à sa discipline, la rappeler en quelque sorte au réel immuable.

Ce directeur de recherche au CNRS propose une boussole pour se diriger dans ce marigot des ego. « Les sciences sociales souffrent d'une trop grande dispersion de travaux spécialisés qui ne communiquent que très peu entre eux. » Face à cet éparpillement, il tire la sonnette d'alarme. Comme le groupe Bourbaki a mis de l'ordre dans les mathématiques dans les années 1930, il souhaite une prise de conscience identique pour les sciences sociales. Il n'espère pas que ces sciences deviennent plus « dures », mais seulement qu'elles discutent, qu'elles profitent des outils proposés par d'autres pour sortir d'une explication du social par le social. Il en appelle donc à une rupture, conscient qu'on ne change pas comme cela une équipe qui fait semblant de gagner depuis des décennies. « On ne change pas l'ensemble des communautés scientifiques relevant des sciences humaines et sociales par la seule force d'un livre. » Mais un livre comme celui-ci peut servir de déclic. Au-delà des différences culturelles et des particularismes, il veut mettre en avant des constantes comme il en existe dans les sciences exactes. Car tout ne commence pas avec l'homme. Le pouvoir ou la domination préexistent dans la nature. L'exceptionnalité humaine surgit d'un ordinaire qu'il est nécessaire de retrouver. « Produit de l'évolution biologique, l'action culturelle de l'Homme permet de compenser ses faiblesses et change la nature de l'évolution, en modifiant les pressions sélectives qui pèsent sur l'espèce. » Ainsi, en faisant cuire ses aliments, l'homme a vu son intestin diminuer. Il existe donc des lois sociologiques, des processus autour de la reproduction et de l'apprentissage.

Cette invitation dans un siècle et demi d'écrits et de tâtonnements espère faire émerger les grands faits biologiques et sociaux qui structurent les sociétés humaines. On peut y voir une rupture, mais aussi une continuité, une forme d'aboutissement des précédentes recherches de l'auteur. Il s'agit encore de voir plus loin, de dépasser les évidences et les faux-semblants, sans biologiser le social mais en mettant davantage de sociologie dans le biologique.