Dans nos contrées, le couple conjugal hétéro représente encore la norme, voire un passage obligé. Face à la pression sociale et intérieure, « il y a des gens qui n'ont qu'une seule vie, et il y en a d'autres qui ont deux vies qu'ils mènent simultanément. » C'est le cas de Barry, 74 ans, un drôle de coco se nourrissant des mots des autres, comme Shakespeare ou James Baldwin. « Selon Platon, être une personne morale ne signifie pas simplement savoir ce qui est juste, mais y adhérer également. » Disons que Barry ne colle point à cette définition... Dans son existence officielle, Barry, big séducteur caribéen, est marié à Carmel, qu'il a suivie à Londres et avec laquelle il a deux filles désormais adultes. Elle « est le Sphinx gardant la cité de Thèbes. Tête de femme, corps de lionne, ailes d'aigle, mémoire d'éléphant, mâchoire de crocodile marin. Carmel est la Cheffe du Monde Propre, qui mène sa guerre personnelle contre le terrorisme et la saleté. » Mais certaines crasses sont incrustées dans les coins reculés de l'âme. La vieillesse n'arrange guère les choses, surtout si on ne l'accepte pas. À l'instar de Barry.
Son union avec Carmel semble bien rodée, tant elle a accompagné la courbe de leurs vies. Soit un demi-siècle d'un quotidien où gravitent de multiples personnages. Or tout cela n'est qu'un mirage. « Nous sommes dans une impasse - et cela depuis des dizaines d'années. La solution, c'est la dissolution de mon mariage », se persuade Barry. Entre la théorie et la pratique, il y a un décalage, doté d'un sacré secret. Un amour caché qu'il n'a jamais cessé d'éprouver pour Morris, qui lui tourne la tête depuis une éternité. « Morris, j'en peux plus de ce merdier marital. Il arrive un moment où il faut laisser tomber le masque et arrêter la comédie. » La réciprocité ne fait que compliquer le schéma ambiant. Qui peut imaginer que ces maris parfaits sont gays ? « Nous sommes à Londres, dans les années quatre-vingt Barry. Ce que nous faisons est légal. Personne ne va nous arrêter. Ce qu'on fabrique, c'est notre putain d'affaire. » Encore faut-il demander au principal intéressé de s'accepter comme il est et d'affronter les conséquences de ses choix, y compris concernant sa chère Carmel. Mais qui ose chambouler toute sa vie ? « L'amour n'est ni vengeur, ni méchant ! Il n'est ni envieux ni fanfaron ! Ni arrogant ni vulgaire ! » C'est juste qu'on ne le maîtrise pas et qu'il peut faire des dégâts. Barry ne fait que repousser l'inévitable, tout en se disant qu'à son âge, il a droit au bonheur.
Présidente de la Royal Society of Literature, la Britannique Bernardine Evaristo a remporté le Booker Prize pour le merveilleux Fille, femme, autre. L'auteure, engagée pour la cause féministe et noire, continue à creuser le sillon des « transformations, transmutations, transculturations. » Chaque roman prône l'émancipation. « Quand quelqu'un vous réclame sa liberté, il faut la lui donner : autrement vous devenez son geôlier. » Mais qu'en est-il de ses geôliers intérieurs ?
Mr. Loverman Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Françoise Adelstain
Globe
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 23 € ; 304 p.
ISBN: 9782383610953