L'action se déroule à -Paris en 2044. Les serveurs de l'université de -Jussieu ont été piratés. Pour -déjouer ce complot inter-national, une cyber--enquêtrice va -devoir vérifier la véra-cité des informations que lui -délivrent différents personnages croisés sur sa route. Baptisé Hellink, ce jeu -vidéo -futuriste, au scénario rythmé et à l'univers graphique élaboré, sera disponible gratui-tement sur tous les bons portails de jeu à partir du 25 janvier. Il ne s'agit pas du dernier-né d'un producteur indé-pendant, mais de la création de la biblio-thèque universitaire Pierre-et-Marie-Curie (BUPMC) de Sorbonne Universités. Ce jeu d'aventures a été -élaboré en 2016, initialement pour former les étudiants de l'université aux compétences informationnelles. Il est organisé en quatre chapitres, correspondant chacun à un thème - -auteurs et statuts, plagiat, bibliographie, sources, et 15 niveaux, qui permettent aux joueurs de se familiariser avec ces notions parfois ardues. « Au cours de 45 minutes de jeu, les étudiants expérimentent concrètement la vérification de l'information, souligne Julien Prost, qui a rejoint récemment le pôle formation et innovation pédagogique de la BUPMC, où le jeu a été créé par une équipe pluri-disciplinaire. C'est plus efficace qu'un TD classique de deux heures. »
Jeu de piste
L'initiative de la BUPMC est emblématique de la tendance actuelle qui voit de plus en plus de bibliothèques universitaires recourir au jeu dans les acti-vités qu'elles proposent à leurs étudiants, que ce soient des serious games (jeu -vidéo ou escape game) ou des jeux plus classiques tels que le jeu de cartes ou le jeu de plateau. « C'est un courant de fond, confirme Christèle Hervé, responsable de la formation du public au service commun de la documentation de l'université de Tours. Cela s'inscrit dans une réflexion globale sur la pédagogie et sur la manière de dynamiser les formations. » Depuis septembre dernier, les bibliothèques universitaires de lettres, droit et sciences ont transformé les traditionnelles visites en jeu de piste que les étudiants effectuent par petits groupes en totale autonomie et qui leur fait découvrir les différents -espaces de la bibliothèque. En septembre, 3 500 étudiants y ont participé. « C'est plus efficace et plus convivial que les visites classiques au cours desquelles nous avions du mal à capter l'attention des étudiants », analyse Christèle Hervé.
La bibliothèque de l'université d'Evry a mené une expé-rience comparable. Pour ses visites, la bibliothèque a créé un -serious game -appelé « Zombiblio », composé de 6 modules abordant les -besoins de base de tout étudiant dans une bibliothèque : faire une recherche dans le catalogue, se repérer dans les rayonnages, connaître les règles de prêt. -Armés d'une -tablette numé-rique et d'un guide papier rassemblant des informations essentielles, les participants doivent parcourir la bibliothèque par petits groupes pour trouver les -réponses aux énigmes. « Nous avons fait jouer près de 800 étudiants, précise Lise Dachet, responsable de la formation des usagers au service commun de la docu-mentation de l'université d'Evry. Le serious game dépoussière l'image de la bibliothèque. Nous touchons plus d'étudiants que par les visites classiques, et de manière plus efficace car ils sont -actifs dans l'apprentissage. » A l'université de Haute-Alsace (UHA), la bibliothèque universitaire de Colmar a, quant à elle, élaboré un escape game pour faire -découvrir son site historique - une -ancienne usine, et ses documents patrimoniaux. Les participants, enfermés dans une pièce qui reconstitue le bureau du directeur de l'usine, doivent trouver, dans le noir, des indices -cachés dans la pièce. Les bibliothèques de l'UHA proposent également depuis plusieurs années des « visites dont vous êtes le héros », qui entraînent le visiteur, comme à Evry et à Tours, dans une recherche d'indices dans leurs différents espaces.
Une approche adaptée à la génération Z
Le recours au jeu comme outil d'apprentissage s'inscrit dans la mutation des méthodes pédagogiques universitaires, qui intègrent plus fortement la participation active des étudiants et le travail en groupe, mais aussi plus globalement dans une tendance générale à la « ludification » de l'ensemble de la société. « Le jeu investit tous les champs d'activité, explique Marie -Latour, -directrice adjointe de la bibliothèque de l'université de Guyane. Dans le secteur médical, par exemple, où l'on fait de la rééducation par le jeu, ou encore dans le domaine militaire, où l'on apprend à piloter un hélicoptère par la simulation. Les bibliothèques doivent prendre part à ce mouvement qui permet de mieux toucher les gens. A l'université, cela correspond aux pratiques de la génération Z des 18-20 ans, habituée à fonctionner sur les réseaux sociaux, rétive à l'autorité, et qui fonctionne essentiellement sur la motivation, pas sur la contrainte. » A son arrivée à la BU de Guyane, Marie Latour élabore avec sa collègue de l'époque, Caroline Boiteux, trois jeux de société autour des enjeux de l'open access, qui reçoivent le soutien financier du consortium Couperin, chargé de négocier les ressources documentaires numériques pour les bibliothèques universitaires. L'un d'entre eux, un jeu de plateau appelé Licence to kill, aborde les différents statuts d'un texte, copyright, domaine public, licences libres, etc. Tout récemment, le 5 novembre, la bibliothèque de l'université de Bordeaux a créé, en partenariat avec les BU de La Rochelle et de Pau, Subpoena, un serious game autour du plagiat. Le jeu part d'un fait réel : la démission du président de la République hongroise en 2012, après la révélation que 90 % de sa thèse étaient basés sur du plagiat.
La plupart des universités ont à cœur de partager leur expérience, comme la BUPMC qui donnera accès à Hellink en janvier, la BU de Guyane qui a mis ses jeux autour de l'open access sur la plateforme zenodo, ou encore la BU de Bordeaux qui a publié Subpoena sous licence libre.
Mathieu Blayo: « Ne pas confondre jeu et formation ludique »
Enseignant à l'université de Marne-la-Vallée, concepteur de jeux et de solutions ludiques pour les entreprises, Mathieu Blayo livre son éclairage sur le recours au jeu dans l'apprentissage.