Lancé aux États-Unis en juin 2023 et commercialisé outre-Atlantique depuis février 2024, l’Apple Vision Pro, le casque de réalité mixte (augmentée et virtuelle) de la marque à la pomme, arrive en France en ce début d’été. Le produit sera disponible à partir du 12 juillet, et en pré-commande dès le 28 juin. Vendu à partir de 3 999 euros, il est présenté par Apple comme « un ordinateur spatial révolutionnaire ». Au point de révolutionner aussi notre façon de lire ? Pas si sûr.
Sous nos yeux, comme suspendues, apparaissent, statiques, les pages numériques des livres que l’on fait défiler sur un écran virtuel. Doté d’une sortie audio « avancée », ce casque permet aussi d’écouter des livres. Mais pour l’instant, pas d’application livres dédiée. Il faut utiliser l’application Apple Books pour iPad sur son Vision Pro pour lire ou écouter un livre.
Une expérience lecture pas forcément concluante
D’après les retours de consommateurs américains, l’expérience lecture n’est pas forcément concluante. Le casque ne concurrence pas l’e-book, ni même le livre physique. S’agissant de l’expérience audio, pour l’instant il n’emporte pas non plus franchement l'adhésion. « Le casque de réalité virtuelle apporte des images. Or les personnes qui choisissent des audio-book, nous disent que c’est pour s’éloigner des écrans. Elles choisissent d’écouter et de ne rien voir. Nous ne sommes pas une industrie qui regarde », soulève Michele Cobb, directrice de l'association américaine des éditeurs audio.
Avant Apple, Meta Platforms (Facebook) a lancé son casque de réalité virtuelle, Meta Quest, commercialisé au départ sous le nom d'Oculus. À l'occasion du Festival international de la bande dessinée (FIBD), en 2022, la plateforme Izneo avait lancé une application mobile de lecture en réalité virtuelle compatible avec le casque Meta Quest 2. Un stand avait été installé au sein du festival pour tester l'immersion virtuelle dans les pages d'une BD, d'un manga, d'un comics ou d'un webtoon. « Cette application permet d’avoir une vue d’une planche de bande dessinée de très près. On se retrouve comme un petit personnage devant un énorme dessin. On a constaté un attrait, une curiosité de la part du public. Sur le plan de la communication, cette expérience a fonctionné », relate Luc Bourcier, ancien directeur général d’Iznéo. Mais sur le plan commercial, l’application n’a pas connu un grand succès, reconnaît néanmoins cet actuel consultant indépendant pour la BD numérique et le webtoon.
« Il reste encore à inventer de nouveaux modes de lecture, adaptés au numérique »
La raison ? « Avec un casque de réalité virtuelle ou augmentée, les gens cherchent une expérience plus forte. Or la lecture est souvent un cran en dessous », estime Luc Bourcier. Selon cet expert, les applications de lecture numérique ne sont pas encore assez concluantes. « Ce n’est pas si facile de naviguer dans une page avec un casque de réalité virtuelle. Aujourd’hui, lire un roman, un essai ou une BD sur un support numérique, c’est toujours jugé moins bien que le support papier », ajoute-t-il, estimant qu’« il reste encore à inventer de nouveaux modes de lecture, adaptés au numérique, qui soient agréables pour l’utilisateur. Mais en l’état actuel des modes de lecture digitale, il est difficile d’en faire un succès auprès du grand public. »
Chez Stock aussi, on a testé la réalité virtuelle. Essentiellement à des fins de communication. La maison d’édition du groupe Hachette avait donné rendez-vous aux libraires dans le métavers pour présenter sa rentrée littéraire 2023. Mais rien de révolutionnaire aux yeux de Manuel Carcassonne, le directeur général. « Cette expérience était plaisante mais, hormis l’environnement virtuel, je parlais dans un micro, ce qui n’a rien de novateur », se souvient l’éditeur. Selon lui, l’intérêt des casques de réalité virtuelle ou augmentée pour l’univers du livre reste encore à prouver. « S’ils permettent de faire lire davantage, de présenter nos livres, de les faire vivre autrement, cela m’intéresse évidemment. Mais il faut que cela marche par rapport à nos milieux. Aujourd’hui, au sein des maisons d’édition, on n’a pas les compétences ni les moyens pour développer ce genre d’outils », ajoute-t-il.
Des usages spécifiques
Pour l’instant, le développement des applications et des casques de réalité virtuelle et augmentée, appliqué à l’univers de la lecture, apparaît encore cantonné à des usages très spécifiques : opération de communication, ou enrichissement de la lecture. C’est le cas par exemple de Ludenco books, une plateforme qui permet aux éditeurs d'enrichir leurs manuels scolaires avec la réalité augmentée. Dans le domaine de la formation, ce type de produit apparaît prometteur. « À l’avenir, on peut imaginer qu’en lisant un livre de médecine avec des lunettes de réalité augmentée, au chapitre anatomie apparaîtront les organes en trois dimensions », anticipe déjà Morgane Soulier, consultante et conférencière spécialiste des enjeux numériques.
Le casque aide aussi le lecteur à se concentrer. « On peut imaginer que les bibliothèques s'équiperont de casques pour permettre aux lecteurs de s’isoler du monde extérieur », suggère Luc Bourcier. Ou encore, permettre un très fort grossissement des textes.
Nouvelles possibilités pour l'industrie du livre
S’il ne bouleverse pas la façon de lire, le casque de réalité virtuelle et augmentée devrait donc ouvrir certaines possibilités pour l’industrie du livre. « On pourrait tout à fait imaginer des éléments interactifs sur des livres numériques, avec par exemple une scène du livre qui s’incruste. Ou encore une traduction instantanée à la façon d’un audio-guide. Ces produits permettent de nouvelles formes de narrations, plus enrichies avec textes, images, vidéos, audio », ajoute Morgane Soulier.
Toujours est-il que les possibles qui s’ouvrent avec les outils de réalité virtuelle et augmentée sont regardés avec un intérêt certain par les acteurs du livre. « La réalité virtuelle pourrait aussi permettre de développer des clubs de lecture, ou des rencontres d’auteurs, avec des participants des quatre coins du monde se retrouvant dans le métavers », ajoute la conférencière. « On peut imaginer que les lectures sur liseuses ou tablettes, seront de plus en plus enrichies de contenus vidéo, d’animations, poursuit-elle. Pour l’industrie du livre, c’est positif car cela va permettre d’inclure plus de personnes dans l’activité littéraire, ou encore d’améliorer des fonctionnalités sur les liseuses, comme la possibilité d’avoir une traduction instantanée d’un mot. »
L’arrivée de l’Apple vision pro en France, s’il parvient à faire mieux que ces prédécesseurs, pourrait donner un coût d’accélérateur aux innovations dans ce domaine.