29 août > Histoire Australie

A ceux qui se demandent ce que l’on va commémorer pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, Christopher Clark apporte une réponse. Une réponse en forme de question : pourquoi cela est arrivé ? Pour évoquer ce théâtre des opérations où l’irrationnel cède à la raison, il nous entraîne dans les turbulents Balkans avec, en prologue, le massacre du couple royal à Belgrade en 1903 par une centaine de conjurés serbes. Une violence qui va en entraîner d’autres.

On ne songe pas encore à la guerre, mais on la prépare. A Paris, à Berlin, à Vienne, à Londres, à Rome ou à Moscou, les esprits s’agitent et l’historien australien observe la situation et son évolution. L’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo n’est que le signe de départ de la course au chaos. Chacun s’était déjà préparé à en découdre avant le coup de feu fatal.

Né en 1960, déjà auteur d’une Histoire de la Prusse (Perrin, 2009), aujourd’hui professeur à l’université de Cambridge, Christopher Clark opère des coups de sonde judicieux pour tenter de saisir ce qui change dans les relations diplomatiques, les alliances et les intérêts économiques. Il constate la violence qui affleure comme une poussée de fièvre incontrôlée dans une Europe bradant ses valeurs et abandonnant son héritage humaniste.

L’Autriche-Hongrie apparaît comme un empire sans qualités, rongé par les conflits linguistiques, enfermée dans sa « sénilité glacée », comme l’observait Joseph Roth. Pourtant, Sigmund Freud, alors âgé de 58 ans, accueillit la guerre par un « toute ma libido est offerte à l’Autriche-Hongrie ». Le psychanalyste regrettera cet enthousiasme nationaliste qui avait tout de même le mérite de mettre en évidence la part d’inconscient dans le drame qui se jouait.

Christopher Clark prend plaisir à raconter. Il explique, certes, mais surtout il montre, par petites touches, les politiciens et les monarques s’agiter au bord du précipice. Il sait qu’une vie d’historien ne suffirait pas à consulter l’ensemble des sources sur le sujet. L’universitaire s’efface donc prudemment devant son récit. La folie des hommes est tellement surprenante que tous les discours seront toujours en deçà des faits. Voilà pourquoi Les somnambules raconte une partie d’échecs avec des pièces masquées et des joueurs aveugles !

Le titre renvoie à l’époustouflant roman d’Hermann Broch, publié en 1931, où des personnages pantins, manipulés par on ne sait qui, s’engouffrent dans les guerres, les révolutions et les apocalypses. Comme Broch le Viennois, Clark l’Australien veut nous montrer les coulisses de l’irrationnel, sachant que toute explication définitive est illusoire. Souvenons-nous de l’avertissement de François Furet. « Plus un événement est lourd de conséquences, moins il est possible de le penser à partir des causes. » Laurent Lemire

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