L'effet Colette. La conquête de l'espace, de Muriel Boselli, qui paraît chez La Tribu, la nouvelle maison d'édition de textes annoncés « impertinents », n'est pas un manifeste spatioféministe comme on pourrait s'y attendre. L'autrice, qui est aussi la narratrice, y raconte une histoire on ne peut plus terrienne : la sienne. Pas question de décoller dans ce livre puisqu'il s'agit, au contraire, de territoire. À mi-chemin entre Chez soi de Mona Chollet et Un lieu à soi de Virginia Woolf, Muriel Boselli tente d'y voir clair sur la femme qu'elle est et le lieu où elle vit. Elle scrute son rapport à sa mère, à sa grand-mère et à l'écriture à travers son installation récente dans un petit village de Bourgogne, à Saint-Sauveur-en-Puisaye. La Puisaye, c'est la Bourgogne pauvre, sans le vin, à quarante minutes de la gare la plus proche. Seulement, Colette y a grandi. Ce qui dore les lieux, nimbe les villageois d'un supplément d'âme littéraire. La maison de Colette, sise rue Colette, hypnotise les Parisiens en mal d'authenticité, qui s'y agglutinent comme à Barbizon, à l'île de Ré ou dans le Perche. Muriel Boselli n'échappe pas à cette attraction. Elle n'a ni voiture, ni argent, ni temps, mais c'est le coup de foudre. L'effet Colette. À elle, ensuite, de trouver des explications qu'elle va consigner dans ce livre dont le titre aurait pu être « Élucider le mystère de Saint-Sauveur ». Journaliste spécialisée dans l'énergie, l'autrice a déjà produit un portrait sous forme d'enquête, L'énigme Margerie. Enquête sur la vie et la mort du magnat du pétrole français, chez Robert Laffont en 2016. À Saint-Sauveur, elle va se souvenir que sa grand-mère Betty et son mari Peter, un couple d'Anglais excentriques, étaient eux-mêmes arrivés dans ce village à la faveur d'une panne de voiture. L'autrice enchâsse alors son histoire dans celle de Betty et dans celle de Colette. À partir de ces matriochkas, on se promène avec elle dans les rues du village, on s'installe à la terrasse du café de la place du marché, on rencontre ses voisins − tous comme elle, des citadins en exil −, les brocanteurs, les restaurateurs, la boulangère dont les cheveux changent de couleur, on traverse la pandémie, sa crise existentielle, ses rhumes, on lui emboîte le pas sur la route qui mène à Moutiers, en bas, après les derniers jardins potagers, on admire la splendeur des peupliers, on perçoit sa peur constante d'être agressée, même par le joggeur qui, juste, fait du jogging. Muriel Boselli convoque dans le texte Sylvia Plath, David Bowie, Nietzsche, Duras, finit par rompre, enfin, avec sa mère, et parvient à nouveau à écrire, ce récit. On est donc face à la gestation d'un livre qu'on est en train de lire et dont l'objet est la gestation du livre. L'œuf et la poule. Une plongée introspective portée par la promenade à Saint-Sauveur, sur les traces de l'irrésistible Colette et l'attachement à son fief.