Chaque livre naît du précédent. De son rêve, au moins. Pour Miguel Bonnefoy, lorsqu’il fut question de "transformer l’essai" de son premier roman, coup de maître qui faisait souffler le vent du réalisme magique dans les jardins bien peignés du roman français contemporain, cela prit la forme d’une bouteille de rhum. Le génie qui s’en échappa lui ouvrit un univers qui était le sien bien qu’il n’en sût encore rien. Dans une librairie parisienne où il venait présenter ce Voyage d’Octavio, il découvrit en compagnie d’un producteur de rhum l’infinie richesse de ce monde. S’ensuivit une mission Stendhal au Venezuela, dans quelques-uns des grands domaines de distillation, et s’ouvrit le champ de l’imaginaire des pirates, des sabres, mais aussi plus tard, de cet "or noir", providence et fatalité du pays natal de sa mère, le pétrole.
Un roman naissait peu à peu, où il serait question d’une famille et d’un butin disparu, d’une trop belle héritière et d’un ambitieux chasseur de trésors. Du temps qui passe aussi sur ce complot de colère et de rêves mêlés, d’ailleurs et de toujours, d’amours et de bonnes ou mauvaises fortunes. Entre autres, puisque, pour Miguel Bonnefoy, la générosité du romancier semble être une seconde nature et que, comme il le dit, "derrière tout livre il y a une bibliothèque", allant pêcher des poissons magnifiques dans les hauts-fonds de Zweig, Defoe, Dumas ou Cendrars.
Le songe universaliste
Lorsqu’il parle du Venezuela, le romancier dit "mon pays". Comprendre que c’est le pays de l’enfance, ou plutôt de ses enfances, qu’il évoque. Né d’un père révolutionnaire chilien ayant fui à Paris la dictature de Pinochet (mais dont la famille était lointainement originaire du Jura) et d’une mère diplomate, l’enfant ira de capitale en capitale, mais aussi d’un lycée français l’autre. C’est de ce refuge, de ce songe universaliste français que Miguel se sent finalement le plus héritier. Il dit croire sans réserve aucune non seulement à la francophonie, mais à la tradition d’accueil de la politique étrangère française en même temps qu’aux leçons des Lumières.
Il voit le jour à Paris en décembre 1986. Son père écrit, sa mère poursuit sa carrière d’attachée culturelle, et lui grandit entre les lectures de Juan Rulfo, Borges ou Cortázar. A 6 ans, le voilà à Caracas, puis il y aura Lisbonne, l’Argentine, l’Italie, les études en Sorbonne. Un voyage sans trêve et sans fin, ni lassitude. Un voyage, un goût pour déplacer les lignes qui se prolongera par la lecture, d’Aragon, Nizan ou Gary, et pour l’écriture. Il y aura une première nouvelle, Le Minotaure, publiée d’abord à Rome. Le pli est pris, surtout après qu’il est couronné par le premier prix du Jeune écrivain. Cela lui vaut l’attention d’Emilie Colombani qui lance alors sa collection de littérature française chez Rivages.
Avec Le voyage d’Octavio (Rivages, 2015), qui séduit d’emblée, il en deviendra instantanément l’une des figures de proue, abandonnant son emploi de caissier au Grand Palais. Conscient des risques d’une possible assignation à résidence romanesque, le romancier accepte, avant de s’y remettre, la proposition des éditions Guérin, intégrées depuis à Paulsen, de vivre dans la jungle vénézuélienne, d’y gravir des montagnes, d’y descendre en rappel la plus haute cascade du monde pour en rapporter un récit, Jungle (Paulsen, 2016). Son aventure se poursuit dans son deuxième roman, Sucre noir, à la rentrée chez Rivages.
Olivier Mony
Miguel Bonnefoy, Sucre noir, Rivages. 20 €, 210 p. Sortie : 16 août. ISBN : 978-2-7436-4057-6