Sa Majesté des fous. Le petit Arthur vit avec un père qui a perdu pied depuis la mort de son épouse. Cloîtré dans son bureau, coincé dans ses sombres pensées, cet ex-chirurgien ne communique plus. Puis, au gré des dessins naïfs et colorés que lui transmet son rejeton, l'homme se réveille après des mois de torpeur et donne un tournant à la vie de la maisonnée. Pour le meilleur ? Pas vraiment. Dérivant à partir d'images mentales surréalistes et de fumeuses théories complotistes, le père crée un cocon paranoïaque autour de la famille : plus de télé ni d'Internet, régime alimentaire drastique, modifications corporelles dignes d'un film de SF, transformation de la maison en bunker... Les seuls liens avec l'extérieur sont l'école pour Arthur - où, évidemment, ça ne se passe pas très bien - et des réunions aux relents de sectes avec une bande de marginaux, de la hippie lubrique au truand alcoolique. Avec toujours l'idée qu'ils font partie d'une organisation secrète qui les contactera le moment venu pour renverser l'ordre établi, les armes à la main...
Depuis son premier et déjà impressionnant album en 2010, Les noceurs (Actes Sud), Brecht Evens ne cesse de sonder les tourments et les pulsions des hommes au travers de récits en apparence déstructurés, où évoluent des marionnettes fragiles dans des songes moites et des nuits incandescentes. Même s'il n'a pas toujours été très lisible dans ses intentions, il a souvent été audacieux dans ses mises en scène, et a surtout imposé un graphisme qui a largement essaimé depuis. Avec ce nouveau diptyque, l'auteur flamand semble avoir resserré son propos autour d'une trame narrative plus linéaire, sans tourner le dos à ses expérimentations chromatiques. Par ses encres colorées d'une grande subtilité, transfigurant autant l'iconographie de la littérature jeunesse que celle de la BD alternative, Brecht Evens brode une plongée dans la folie racontée à hauteur d'enfant, où l'imaginaire d'Arthur se mélange à la psychose de son père sans visage, où le réel n'a plus droit de cité et où l'espoir ne viendra que d'une fuite aux accents picturaux et littéraires. Tantôt angoissant, tantôt exubérant, tant dans ses images que dans ses mots, Le roi méduse brûle les doigts et les yeux. Et en cela, il se doit d'être rencontré.
Le roi méduse vol. 1
Actes Sud
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 32 € ; 288 p.
ISBN: 9782330185138