Florence Seyvos prend son temps entre chaque livre. Le précédent, L’abandon (L’Olivier), remonte déjà à 2002. Le garçon incassable, le nouveau, permet de retrouver son univers et sa musique. L’écrivaine et scénariste y croise deux histoires. Sa narratrice se rend d’abord à Los Angeles. Il s’agit là d’une femme dont l’œil droit dit « sérieusement merde à l’autre ». Surtout depuis qu’elle fait moins ses exercices puisqu’elle a un fiancé. Dans la Cité des anges, elle loge à l’hôtel et se déplace en taxi, à la recherche de la maison de Buster Keaton dans Pamela Drive.

Keaton est la première figure du livre. Il se prénommait encore Joseph et était encore un bébé lorsqu’il est tombé dans l’escalier en avril 1896. Ce qui lui valut à l’époque d’être rebaptisé Buster. Incassable, l’enfant avait une mère jouant du saxophone et un père faisant des acrobaties très drôles. Des parents qui n’hésitaient pas à se servir de leur fils dans leur numéro de music-hall. Un Buster qui allait devenir peu à peu « une sorte de spécialiste mondial de la chute » et la vedette que l’on sait…

L’autre figure du volume se prénomme Henri. La narratrice avait 11 ans quand elle est partie en Afrique avec sa mère et son frère François après le divorce de ses parents. En Côte d’Ivoire, maman vient rejoindre un homme, père d’un garçon extrêmement maigre, à la mâchoire prognathe et dont la démarche fait penser « à un bulldozer qui aurait perdu une chenille ». Henri est handicapé depuis qu’un vaisseau s’est rompu dans sa tête alors qu’il n’avait que quelques heures.

Son père lui a appris seul à marcher et l’a astreint à une rééducation quotidienne. Henri encaisse. Passe beaucoup de temps à attendre. Rit de manière incontrôlée. Ferme les volets à 18 heures quoi qu’il arrive. Plus tard, il peut même lui arriver de renverser volontairement avec son vélo une vieille dame qui traverse en dehors des clous.

Florence Seyvos passe de Buster à Henri avec agilité et cohérence. Le garçon incassable se révèle un livre incroyablement émouvant et sobre. Un texte vibrant, bouleversant, qui ne s’oublie pas.

Alexandre Fillon