On n'échappe pas à l'air du temps. 2019 restera l'année où la protection de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique se sont imposées comme des préoccupations majeures. Cette prise de conscience a un visage, celui de Greta Thunberg, élue personnalité de l'année par Time Magazine et... adversaire résolue des voyages en avion. Dans ce contexte, et alors que le marché des guides touristiques s'inscrit à nouveau en recul (-2,8 % en valeur en 2019 selon GFK), il est difficile pour les éditeurs d'ignorer cette tendance appelée à prendre davantage d'ampleur chaque année. De plus en plus de titres ou de collections intègrent dans leurs pages des suggestions de voyages et d'activités écoresponsables. Pour la première fois en 2020, les guides France de Lonely Planet proposent des itinéraires sans voiture ; le « Guide Vert » Les Charentes (Michelin) inclut un carnet de 10 pages dédié au cyclotourisme qui devrait vite essaimer dans le reste des « GV » ; chez Gallimard Loisirs, la création au printemps dernier du label « Gallimard Voyage » se traduit par la publication de beaux livres et albums centrés sur le tourisme doux, dont En train : 30 aventures à travers l'Europe annoncé pour avril.
Quelques titres plus engagés voient aussi le jour comme, en avril, Voyage zéro carbone : 80 itinéraires clé en main sans avion ni voiture en Europe et au-delà chez Lonely Planet. Centré sur l'Europe, le livre propose également quelques incursions au Maroc ou en Tunisie. Il sera suivi au second semestre d'autres titres dédiés aux voyages écoresponsables. Viatao, spécialisé dans les guides éthiques, a pour sa part publié en janvier son premier beau livre Monde : 1 000 idées et adresses pour voyager engagé.
« Ne pas culpabiliser les gens »
Mais les ouvrages militants qui s'emparent à bras-le-corps de l'écologie sont encore l'exception. Les éditeurs, s'ils se disent concernés par la question environnementale, ne souhaitent pas se couper des gros bataillons de voyageurs traditionnels. « Nous parlons à tout le monde, sans juger, et surtout sans chercher à paraître moralisateurs », résume Frédérique Sarfati-Romano, directrice déléguée pôle illustré tourisme chez Lonely Planet, qui poursuit dans le même temps le développement de sa collection « Sur la route ».
« Une même personne peut partir au Sri Lanka en hiver et opter pour une itinérance douce en été. On a très souvent affaire aux mêmes voyageurs, souligne pour sa part Nathalie Pujo, directrice d'Hachette Tourisme qui a cédé sa place fin janvier à Sidonie Chollet. L'idée n'est pas de culpabiliser les gens, mais d'accompagner l'évolution des modes de voyage avec une offre adaptée. »
Hachette Tourisme adapte donc les contenus de ses guides et poursuit le développement progressif de ses Routard vélo avec deux nouveautés en 2020 qui porteront à neuf titres son offre sur un segment du cyclotourisme déjà bien labouré par Ouest-France et Chamina. Ouest-France, notamment, compte plus de 40 titres à son catalogue dans la collection « Véloguide » qui s'enrichit de deux inédits en 2020, dont Méditerranée à vélo, premier guide officiel de cette nouvelle destination cyclable. Cette année, l'éditeur publiera également une nouvelle édition de son Atlas des plus belles voies vertes et véloroutes de France.
Randonnées
Signe qui ne trompe pas, le segment des guides de randonnée a progressé de +2,7 % en valeur en 2019 selon GFK alors que le monde, l'Europe et la France ont vu leurs ventes reculer et les albums et beaux livres stagner à -0,1 %. Pourtant les éditeurs spécialisés, la Fédération française de randonnée pédestre (FFRP) en tête, ne montrent pas d'enthousiasme excessif : « Il faut travailler énormément et produire plus pour maintenir le même niveau de chiffre d'affaires sur les Topoguides traditionnels », souligne Annie Sissoko, responsable du service commercialisation à la FFRP. L'instance trouve quelques relais de croissance dans des coéditions de beaux livres avec Belles balades, Ouest-France ou encore Glénat. Elle a aussi publié fin 2019 un « Topoguide » à tout petit prix avec une cartographie simplifiée, Le tour de Paris à pied. « Nous ne savons pas encore si nous allons développer une collection spécifique », prévient-elle.
L'émergence du tourisme doux ne profite pas encore aux destinations France (-4 % en valeur pour les guides en 2019), même s'il faut nuancer selon les régions. « Le marché est très compliqué pour les régions du sud de l'Hexagone, concède Philippe Orain, directeur éditorial guides chez Michelin. En revanche les destinations plus nature, essentiellement dans la partie nord-est du pays, obtiennent des résultats au-dessus de la moyenne. » Ceci dit, le « GV » Champagne-Ardenne est encore très loin de menacer les « GV » Corse ou Provence.
A l'échelle européenne, la désaffection croissante des voyageurs pour les destinations surfréquentées produit les mêmes effets. « Même si les volumes restent importants, les grandes villes perdent 10 % chaque année tous éditeurs confondus alors que les villes moyennes et les villes d'Europe du nord, moins frénétiques et plus proches de la nature, connaissent une forte progression, constate Frédérique Sarfati-Romano, chez Lonely Planet. C'est significatif d'une évolution des attentes en termes d'expérience. En tant qu'éditeur, nous devons en tenir compte. » Des acteurs comme Jonglez avec la collection « Insolite et secrète » ou Ouest-France avec ses « Guides secrets » proposent déjà de sortir des sentiers battus, avec un certain succès : en 2019, Thomas Jonglez revendique 20 % de croissance de son chiffre d'affaires, grâce notamment à ses titres proposant de découvrir autrement Paris, Lisbonne ou la Corse.
Guides d'inspiration
Nonobstant ce lent, et encore modeste en valeur, mouvement de fond en faveur de l'itinérance douce, l'autre enseignement de l'année écoulée est le succès des guides de courts séjours illustrés, riches en photos, infographies, sélections de visites et de trajets. Dans un marché structurellement en baisse, ce sont bien ces collections visuelles qui s'en sortent le mieux sur les destinations traditionnelles. Chez Lonely Planet, « L'essentiel » occupe historiquement ce créneau ; Michelin de son côté revendique +11 % de croissance pour la collection « Le Guide Vert Week-end Go », récemment refondue. Et chez Gallimard Loisirs, le succès de « Géoguide Coups de cœur » (+39 % en volume selon l'éditeur) ne se dément pas depuis son lancement fin 2017.
Avec la dimension pratique en plus, ces petits formats qui prennent le lecteur par la main empruntent de plus en plus aux codes du beau livre d'inspiration. C'est même la clé de leur succès : « Quand nous avons lancé « Coups de cœur », nous voulions coller au cheminement du voyageur qui, avant de partir, s'intéresse d'abord aux endroits qu'il va visiter, explique Line Karoubi, directrice générale chez Gallimard Loisirs. Nous sommes revenus à une démarche à la fois plus pratique et plus inspirationnelle. »
Fort logiquement, la plupart des collections refondues cette année s'inscrivent dans cette tendance. Ainsi les guides du Routard 2020 arborent-ils une nouvelle maquette de couverture tout en gardant le principe des coups de cœur en ouverture de guide adopté en 2016. Au Petit Futé, les guides Monde bénéficient depuis février d'une nouvelle identité visuelle (couverture, maquette intérieure) et de nouveaux contenus ; ils ont aussi vu la part des illustrations multipliée par six par rapport aux éditions précédentes. « Il faut du contenu inspirant pour donner de bonnes raisons au lecteur de partir en voyage. C'est devenu la première utilité d'un guide », estime Jean-Paul Labourdette, le fondateur du Petit Futé. Il ajoute : « Plus personne aujourd'hui n'utilise un guide papier pour réserver son hôtel. Un guide peut continuer à proposer des adresses, en particulier de restaurants, mais à travers une sélection resserrée. Il doit surtout donner des idées. » Raison pour laquelle l'éditeur a entièrement réécrit ses contenus, multiplié les entrées thématiques et lancé une rubrique Découvrir destinée à approfondir la partie culturelle et assurer la montée en gamme de la collection, sans surcoût pour le lecteur.
Tintin
A l'origine de ce phénomène, les beaux livres et albums d'inspiration en grand format restent d'importants pourvoyeurs de ventes. Hachette Tourisme en particulier bénéficie du succès de Voyages France et de Road-trips parus sous la marque Le Routard. L'éditeur annonce un prochain Road-trips France. « Nous proposerons des itinéraires atypiques, par exemple autour des enclos paroissiaux des monts d'Arrée », détaille Philippe Gloaguen, fondateur du Routard, qui publiera aussi en juin un album Nos coups de cœur en Occitanie et travaille pour l'automne sur un titre avec Stéphane Bern.
Prisma poursuit la refonte de ses beaux livres avec en fin d'année une nouvelle édition à couverture toilée du « Geobook Tintin » 120 pays - 7 000 idées. L'éditeur s'appuie en parallèle sur son partenariat avec Moulinsart pour commercialiser un mooc Tintin c'est l'aventure, à raison de quatre titres par an. Gallimard Loisirs publie Camper autour du monde ; Ulysse mise, entre autres, sur deux albums d'inspiration de randonnée dans le monde et en Europe ; Michelin couvre 52 destinations françaises dans Week-end en van ; Lonely Planet consacre au surf le nouvel opus de sa série « Autour du monde »...
Bonnes tables
Du côté des guides traditionnels, les vingt ans de la collection « Cartoville » ont donné l'occasion à Gallimard Loisirs de moderniser ses couvertures et de nouer un partenariat avec Mapstr (lire encadré). Dans sa « Bibliothèque du voyageur », l'éditeur publie Pays nordiques, Groenland & Îles Féroé ; Hachette Tourisme teste deux hors-séries en « Évasion » intitulés Dessiner en voyage et Voyager et voir le monde autrement ainsi que deux hors-séries sous le label « Voir » : Passion Japon et Partir au bon moment au bon endroit. L'éditeur poursuit aussi le développement des guides « Simplissime », qui ont connu un bon démarrage en 2019. Jonglez va déployer largement sa collection « Soul of » avec cinq nouveautés au printemps (New York, Venise, Rome...) et enrichit d'un Berlin sa collection phare « Insolite et secrète ». Nanika annonce pour la fin de l'année une collection « Les mangeurs de Ville » qui propose de découvrir une destination à travers vingt arrêts dans des lieux de bouche (restaurants, marchés, alimentation de rue...). Le premier opus sera consacré à Paris. Ouest-France ouvre une collection « Vues du ciel en cerf-volant » avec deux titres consacrés à la Loire et au Mont Saint-Michel et sa baie. De son côté, Ulysse étoffe ses « Fabuleux Guides » avec Italie du Sud.
Enfin, Louis Vuitton continue de capitaliser sur ses trois collections « City Guide », « Carnet » et « Album ». L'éditeur publiera en mai trois nouveaux carnets de dessin consacrés à Barcelone, au Maroc et à Saint-Pétersbourg et un hors-série « City Guide » Reims et Champagne. Sur ce créneau premium, Michelin tire un bon bilan du repositionnement en mooc de « Food&Travel » (ex-« Le Carnet ») dont les titres associent bonnes tables, producteurs locaux, balades et culture. Un 3e opus consacré au Portugal vient de paraître le 17 février.