24 AOÛT - ROMAN France

Si l'on en croit l'auteur, l'éclectique, prolifique et discret Hervé Le Tellier, il aurait projeté d'écrire, avec cet Eléctrico W, une sorte de remake de L'odyssée, d'Homère. Avec, dans le rôle d'Ulysse, un certain Antonio, ancien photographe en temps de guerre qui retrouve Lisbonne, sa ville, en 1985, dix ans après l'avoir quittée. Sauf qu'il ne vient pas y rejoindre une Pénélope, mais Vincent, le narrateur, correspondant d'un journal français dans la capitale portugaise. Les deux amis sont censés enquêter sur un tueur en série, Pinheiro, dont le procès est sur le point de s'ouvrir. Et l'accusé va se révéler un être complexe, fasciné par l'astronomie et la mécanique céleste.

Mais, comme celles d'Ithaque, les soirées lisboètes paraissent un peu longues. Vincent, qui songe à écrire un roman, s'exerce, en attendant, à traduire les 1 073 Contos Aquosos, courts récits absurdes d'un poète inconnu qui signe Montestrela, ou encore Jaime Caixas. Des textes pré-Oulipo (Le Tellier en est) et un jeu de dédoublement qui auraient enchanté, en son temps, le grand Pessoa. Quant à Antonio, il raconte à son ami son amour de jeunesse pour une jeune fille surnommée "Canard". C'était dans les années Salazar, la morale était rigide, et les préservatifs rares. Enceinte, Canard, violemment reniée et chassée de chez elle par son père, avait disparu avec leur enfant. Serait-ce cette femme que, fasciné par l'histoire, Vincent finit par retrouver non loin de chez lui ? A moins que ce ne soit qu'un hasard, une suite de coïncidences. Antonio est un garçon bien mystérieux. Vincent aussi, d'ailleurs. Il leur faudra longtemps pour s'avouer que l'un est amoureux, et que l'autre l'a été (sans réciprocité), d'une même femme, la ténébreuse Irène, justement de passage à Lisbonne. Tandis que, dans les serres du jardin botanique, la jeune et mystérieuse Aurora organise des fêtes décadentes...

Servi par une écriture d'un beau classicisme, Eléctrico W (du nom d'une ligne de tramway) est un roman tout en trompe-l'oeil, où un auteur brillant joue sans cesse avec son lecteur. Quant à l'atmosphère de Lisbonne, cette saudade si particulière, elle est rendue avec un charme envoûtant. A défaut d'Homère, Hervé Le Tellier nous invite à relire Pessoa, lui-même grand amateur de poésie grecque antique.

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