Entrés en fonction le 18 mars 2013, respectivement comme P-DG et directeur éditorial bandes dessinées de Casterman, Charlotte Gallimard et Benoît Mouchart ne se sont pas exprimés publiquement depuis. Dans les locaux parisiens de Flammarion, racheté six mois plus tôt par le groupe Madrigall, et dont la maison de bande dessinée est filiale, ils ont pris leurs quartiers dans deux bureaux mitoyens dominant la Seine. De là, la fille du P-DG de Madrigall, Antoine Gallimard, qui dirigeait déjà Alternatives, et l’ancien directeur artistique du Festival d’Angoulême se sont attachés à panser les plaies d’une maison un peu secouée par le départ du précédent P-DG, Louis Delas, pour L’Ecole des loisirs, et les inquiétudes publiques de ses principaux auteurs.
Livres Hebdo - Comment appréhendez-vous l’univers de la bande dessinée, nouveau pour vous ?
Charlotte Gallimard - J’étais déjà lectrice ! J’étais attirée par les romans graphiques. Je connaissais bien la collection "Ecritures". J’avais lu Taniguchi et Blankets de Craig Thompson, tout comme, chez Futuropolis, Gibrat ou Tardi. Quand on aime la lecture, on lit de tout, de la bande dessinée comme d’autres choses. Je me sens très bien dans cet univers. J’y suis entourée de beaucoup d’hommes, notamment au groupe BD du Syndicat national de l’édition, où je suis la seule femme, mais cela se passe très bien. D’autant qu’avec Benoît, je suis très bien accompagnée pour découvrir ce métier.
A votre arrivée, la maison était ébranlée par plusieurs départs et les inquiétudes d’auteurs. Quel diagnostic avez-vous porté ?
Charlotte Gallimard - Dans un premier temps, nous avons énormément écouté les auteurs : c’était nécessaire après les bouleversements de la fin de 2012. Benoît les a beaucoup appelés. Nous en avons vu un certain nombre, ainsi que Nick Rodwell, à la Fondation Hergé, et Patrizia Zanotti, qui gère les droits d’Hugo Pratt via Cong SA : ce sont des partenaires comme les auteurs vivants. Il nous est apparu qu’ils considéraient vraiment Casterman comme leur maison, un sentiment que je comprends bien puisque Gallimard est aussi perçu ainsi par ses auteurs.
Benoît Mouchart - Le mouvement des auteurs nous a aidés à comprendre ce qui allait et ce qui n’allait pas. Leur collectif - c’est une chose qu’on sait peu - a persisté et a établi un inventaire. Ils étaient ébranlés par certaines choses qui avaient été faites. Ils nous ont écrit, lorsque nous sommes arrivés, un long mail. Ils nous ont demandé de consolider la maison, de la faire évoluer au niveau de la direction artistique ou du site Internet. Cela nous a conduits à revenir aux fondamentaux de Casterman, à Tintin et aux auteurs qui en sont les piliers.
Charlotte Gallimard - Aujourd’hui d’ailleurs, nous continuons d’avoir avec ce collectif d’une vingtaine d’auteurs des rendez-vous réguliers, tous les trimestres.
Sur quoi portez-vous vos efforts depuis votre arrivée ?
Charlotte Gallimard - Tout en renouant avec les auteurs, la Fondation Hergé et Cong, nous avons d’abord reconstitué les équipes. Nejib Belhadj Kacem nous a rejoints comme directeur artistique. Jérôme Baron a remplacé Willy Fadeur, parti à la retraite, comme directeur international. Martin Zeller est arrivé comme éditeur, Basile Béguerie comme assistant éditorial, Sandrine Dutordoir comme attachée de presse. Les évolutions éditoriales prennent plus de temps. Il faut un ou deux ans pour faire une bande dessinée. Nous voulons renouer avec le romanesque, les grandes aventures, les grands récits qui font écho au monde d’aujourd’hui. Ce retour aux fondamentaux passe aussi par l’animation des fonds patrimoniaux, comme en 2015 pour le 20e anniversaire de la mort d’Hugo Pratt.
Benoît Mouchart - Casterman se veut moderne sans être d’avant-garde. Nous allons développer cette approche sans copier ce qui se fait ailleurs, sans reproduire non plus l’époque emblématique d’(A suivre). Nous avons stoppé quelques projets qui avaient été engagés. Nous voulons établir un dialogue avec les racines de la maison, et faire des livres qui touchent un public plus large que celui des bédéphiles, comme c’est le cas pour ceux de Tardi ou de Philippe Geluck. Pour des collections comme "Ecritures" et "Rivages/Casterman/Noir", nous ne sommes pas dans des logiques de remplissage par des acquisitions de droits. Nous voulons développer la création comme avec Le muret de Céline Fraipont et Pierre Bailly, qui vient de paraître, ou des projets comme Le Dahlia noir. En manga, nous remettrons en avant le label Sakka avec son éditeur, Wladimir Labaere, dont l’atout est de parler parfaitement japonais. Nous voulons développer une production plus populaire, plus tournée vers les genres comme le polar, la SF et la fantasy, en recherchant les successeurs des grands talents d’aujourd’hui.
Allez-vous créer de nouvelles collections, ouvrir de nouveaux champs ?
Benoît Mouchart - Nous lancerons en mai un nouveau label avec la revue Professeur Cyclope. Les deux premiers titres, de Pierre Maurel et de Sacha Goerg, seront suivis d’autres par Gwen de Bonneval, Tanquerelle, Cyril Pedrosa… Ces titres auront une forme particulière, mais pas un format unique. Par ailleurs, nous allons ouvrir davantage le catalogue de Casterman, au-delà de sa collection "Ecritures" et de son label Sakka, à des traductions dans le format des albums Casterman. D’une manière générale, sans délaisser les séries, nous développerons une plus grande diversité de formats.
Charlotte Gallimard - Sur le modèle de Lastman, par exemple, avec plusieurs titres de plus de 200 pages par an, il y aura courant 2015 de nouvelles séries portées par d’autres équipes d’auteurs. Nous avons aussi des projets en BD jeunesse, en synergie avec l’équipe de Casterman Jeunesse, mais il est trop tôt pour en parler.
Comment évoluera la production ?
Charlotte Gallimard - Nous prévoyons environ 130 nouveautés et nouvelles éditions en 2014, comme en 2013. Nous resserrerons peut-être un peu ensuite. Dans tous les cas, nous n’en ferons pas plus dans le contexte actuel du marché.
Dans quelle mesure percevra-t-on un "nouveau Casterman" à Angoulême, la semaine prochaine ?
Charlotte Gallimard - Différent de celui d’Angoulême 2013, notre stand sera le même que celui du dernier Salon du livre de Paris. Futuropolis, Fluide glacial et Gallimard BD seront à proximité. Nous serons très présents à travers notre catalogue et une exposition consacrée à Tardi. Mais Casterman existe de longue date. C’est une maison qui a bien résisté malgré des moments de crise : on ne va pas tout réinventer.
Madrigall est devenu un acteur important de la bande dessinée, mais avec des structures dispersées. Recherchez-vous des synergies entre Casterman, Futuropolis, Fluide glacial, Gallimard BD et Denoël Graphic ?
Charlotte Gallimard - Nous nous rencontrons au moins une fois par mois avec Patrice Margotin et Sébastien Gnaedig, Yan Lindingre et Vincent Solé, Thierry Laroche ainsi que Jean-Luc Fromental. Depuis décembre, la fabrication de l’ensemble des maisons est assurée par Casterman, en Belgique. Le marketing est également géré par l’équipe Casterman.
La diffusion va-t-elle être regroupée ?
Charlotte Gallimard - Il n’y a pas de changement pour l’instant. Futuropolis et Gallimard BD restent chez Delsol et Denoël Graphic au CDE, tandis que Casterman et Fluide glacial sont chez Flammarion.
Votre prédécesseur, Louis Delas, coiffait au sein du groupe Flammarion un vaste pôle BD-Jeunesse. Comment s’est défini votre périmètre actuel ?
Charlotte Gallimard - Je n’ai pas souhaité diriger l’ensemble du pôle jeunesse : c’était trop gros. Flammarion Jeunesse est donc directement rattaché à Flammarion, tandis que je coiffe Casterman Jeunesse, dirigé par Monique Dejaifve, et Autrement Jeunesse, qui lui est rattaché. Je conserve par ailleurs la direction d’Alternatives.
Avez-vous prévu d’insuffler de nouvelles orientations chez Casterman Jeunesse ?
Charlotte Gallimard - Non. Nous nous renforçons sur nos points forts en cherchant le renouvellement et la créativité. Nous avons un très beau fonds avec Martine, dont nous allons fêter les 60 ans au travers d’une exposition au Musée en herbe. La série Cherub marche très fort et son auteur, Robert Muchamore, lance Rock war. Nous nous appuyons aussi sur la nouvelle série Rush, de nombreuses autres séries et des auteurs comme Anne Herbauts ou François Place.