Entretien

Catherine Lucet : "Tous les processus de production sont concernés"

"Par rapport à de nouveaux entrants souvent plus agiles, nous devons nous transformer mais notre héritage est aussi une richesse de compétences et de savoir-faire." CATHERINE LUCET - Photo OLIVIER DION

Catherine Lucet : "Tous les processus de production sont concernés"

Directrice générale d'Editis Education et référence, qui regroupe les marques Clé, Bordas, Nathan, Retz, Robert, Catherine Lucet a transformé les différents services éditoriaux en structures multimédias.

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Par Christine Ferrand
Créé le 17.02.2015 à 17h07 ,
Mis à jour le 06.03.2015 à 11h18

Livres Hebdo - Comment envisagez-vous 2012 ?

Catherine Lucet - L'année s'inscrit dans la continuité de l'activité liée aux réformes des programmes au lycée général, au collège et dans l'enseignement professionnel, à la faveur desquelles Nathan et Bordas ont conforté leurs parts de marché. Dans le parascolaire, le développement constaté l'an dernier devrait se poursuivre cette année, notamment du fait de la réforme des lycées qui dope les collections de préparation au bac et limite le marché de l'occasion. Les cahiers de vacances de Nathan et Bordas connaissent aussi une belle croissance. En jeunesse, Nathan continue de progresser en éveil et en fiction. La conjoncture d'érosion des marchés grand public constitue une préoccupation, comme l'évolution défavorable des retours sur laquelle nous travaillons avec les réseaux de diffusion et les libraires.

Et pour le marché des dictionnaires ?

En référence, le marché connaît un tassement en valeur, plus qu'en volume de ventes, toujours soutenues avec le succès des formats de poche. Le marché redoute que le numérique cannibalise le papier, mais nous travaillons à ne pas en faire une prophétie auto-réalisatrice. Le dictionnaire est bien un marché d'offre : les succès rencontrés en 2005 avec le Dictionnaire culturel d'Alain Rey (30 000 exemplaires rien qu'au lancement) et en 2010 avec la refonte du Dictionnaire historique l'attestent. Le Robert illustré Dixel continue de prendre des parts de marché, notamment grâce à un travail important d'innovation éditoriale et promotionnelle, et en partenariat commercial avec les libraires. Ce dictionnaire est par nature bimédia (la version imprimée s'accompagne d'une clé d'accès à une version numérique enrichie). D'autres déclinaisons numériques, adaptées en termes de contenus et d'ergonomie, sont proposées pour supports mobiles. Nous cherchons à ce que nos ouvrages et nos contenus soient présents sous toutes les formes possibles et s'enrichissent de services.

Cette distinction s'applique-t-elle aussi aux manuels scolaires ?

Le manuel scolaire peut être utilisé par l'enseignant pour préparer son cours, par l'élève en autonomie, et par la classe, collectivement. Les diverses déclinaisons numériques des manuels proposent donc des fonctionnalités correspondant à ces différentes situations. S'enclenche progressivement le cercle vertueux par lequel les outils pédagogiques que nous développons s'enrichissent et se diversifient sur la base des retours d'usage des enseignants et des élèves et d'efforts en recherche et développement.

Partout dans le monde, les études sur l'utilisation du numérique en classe montrent qu'elle favorise l'attention et la motivation des élèves. La dernière enquête de Savoir Livre le confirme à nouveau. A terme, elle va aussi permettre d'accompagner les enseignants dans la prise en compte de l'hétérogénéité des classes et de la personnalisation des apprentissages.

Ces développements dépendent aussi des budgets publics. Quelle part représentent-ils dans l'activité globale de Nathan ?

On peut l'estimer à un bon tiers, dont l'essentiel vient toujours des achats de manuels papier. Quant au numérique, l'articulation des décisions entre les collectivités territoriales et le ministère est tout aussi importante que le montant de ces crédits, c'est même fondamental pour éviter le gaspillage, notamment dans le numérique où il y a un formidable potentiel en la matière. Aujourd'hui, les infrastructures sont très hétérogènes et nous sommes confrontés aussi sur le terrain à de nombreux problèmes d'interopérabilité. Les régions ont en tout cas parfaitement accompagné la réforme des lycées.

La tarification des manuels numériques en fait des compléments du papier. Est-ce un choix pour éviter la cannibalisation que vous évoquiez ?

Il s'agit d'abord de ne pas faire payer deux fois le même contenu aux établissements qui ont acheté des manuels papier. Le prix dépend ensuite du choix d'équipement, entre l'outil collectif pour le professeur et l'accès individuel pour chaque élève, sous forme de licence annuelle à un accès on-line, ou de vente définitive. De nombreux enseignants préfèrent encore cette formule, en off-line qui leur évite les problèmes d'accès et de configuration des espaces numériques de travail. Et quelques très rares établissements ne s'équipent maintenant qu'en numérique. Les prix des outils numériques, au-delà des contenus enrichis, doivent aussi couvrir les coûts techniques, dont celui du service après vente.

Le numérique vous permet-il d'explorer de nouveaux marchés ?

Citons, à titre illustratif, deux récentes innovations. Fort de son fonds et de son expertise pédagogique, Retz lance TCC formation, un dispositif de formation à distance sur les thérapies comportementales et cognitives, destiné aux professionnels de la santé. Nathan, de son côté, exploitant ses savoir-faire dans le domaine du jeu, s'est associé avec SFR pour tester Dokéo TV, une chaîne aux couleurs d'une collection emblématique de Nathan. Dokéo TV s'appuie sur l'interactivité de la télévision connectée pour offrir aux jeunes enfants et à leur famille des livres animés, des quiz et des jeux, des documentaires et un module d'apprentissage de l'anglais.

Les maisons d'édition deviendraient-elles des sociétés de production ?

Nos maisons deviennent des maisons d'édition multimédias qui créent pour des supports multiples et diffusent ces créations via de multiples canaux, mais elles restent bien des entreprises d'édition. La création, sous des formes de plus en plus variées, reste au coeur de nos métiers. A l'édition et aux auteurs de s'emparer des nouveaux outils, et d'investir les nouveaux espaces de création qu'ils suscitent.

Du côté de la commercialisation, peut-on se poser la même question quant à l'identité des futurs acteurs ?

La librairie reste et restera encore longtemps un canal majeur. L'essentiel de notre chiffre d'affaires grand public continue d'être assuré par nos lignes traditionnelles. L'adaptation de la librairie au numérique est un enjeu important non seulement pour elle mais aussi pour l'édition, et nous soutenons les initiatives des libraires dans ce sens.

Si le numérique ne remet pas en cause le rôle de l'éditeur, quelles évolutions entraîne-t-il ?

Le numérique transforme progressivement tous les métiers de l'entreprise. Nos éditeurs deviennent des éditeurs multimédias : ils conduisent des projets traditionnels et pilotent le développement de leurs versions numériques, et de plus en plus vont être amenés à concevoir dès l'origine, avec leurs auteurs, des projets transmédias. Ils sont soutenus par des chefs de projet techniques, mais s'emparent progressivement eux-mêmes des outils, ce qui est indispensable pour investir les nouveaux espaces de création.

Tous les processus de production sont touchés, et ils sont remis en cause chaque année puisque nous développons de nouveaux prototypes et les industrialisons en parallèle. Les équipes prépresse et fabrication voient donc aussi leurs tâches évoluer.

Le marketing et le commercial se transforment aussi : le numérique appelle de nouvelles méthodes de promotion et de vente, de nouveaux modes de relation avec nos clients, utilisateurs et lecteurs.

Toute l'entreprise et ses systèmes doivent s'adapter et devenir de plus en plus flexibles. Par rapport à de nouveaux entrants souvent plus agiles, nous devons nous transformer mais notre héritage est aussi une richesse de compétences et de savoir-faire.

Aux Etats-Unis, Apple vient d'annoncer une application dédiée aux manuels scolaires et un partenariat avec les principaux éditeurs américains. Nathan serait-il prêt à un accord identique ?

Apple a bien lancé au niveau mondial et donc aussi en France le logiciel iBooks Author et la nouvelle version de l'appli iBooks, iBooks2. Cette initiative facilitera peut-être l'adaptation de nos manuels numériques pour l'iPad - nous ne sommes pas sûrs encore que l'ensemble de leurs fonctionnalités avancées puissent être prises en compte. En revanche, il faut noter que l'on reste là dans un environnement technique fermé, alors que nous nous fixons comme objectif d'être accessibles sur le plus grand nombre des matériels utilisés dans l'Education nationale, par les élèves et les enseignants. La sortie d'iBooks2, elle, va faciliter la diffusion d'ebooks enrichis. Mais là encore, la compatibilité avec ePub3 n'est pas assurée. Ces questions de formats propriétaires compliquent beaucoup le travail des éditeurs. Quant à un partenariat de nos maisons avec Apple, tout dépend des conditions.

17.02 2015

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