Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la Culture
Depuis le lancement de l'offensive israélienne contre le Hezbollah le 23 septembre, les chiffres de l'horreur ne cessent de s'alourdir. Au moment où j'écris : plus de 3 000 morts, 14 000 blessés, 10 000 bâtiments détruits ou endommagés, près d'un million de déplacés. Pas un jour ne passe sans qu'une nouvelle vidéo ou un nouveau témoignage ne me déchire le cœur. Jamais l'espoir de la paix ne m'a paru si loin, si difficile à atteindre.
Dans ce chaos, que peuvent les livres ? Que reste-t-il de la littérature, de la poésie, des mots de l'imagination ? Même notre patrimoine immuable est en danger. Le temple de Baalbek tient encore debout, mais pour combien de temps ? Les frappes israéliennes ont déjà entraîné de graves destructions dans ses environs immédiats. Il a pourtant résisté à tant de guerres, tant de catastrophes et tremblements de terre au fil de l'histoire.
Comme ces vestiges romains du IIe siècle, les livres sont des repères indestructibles, capables de traverser les âges, de résister à tous les obscurantismes, de créer de l'éternité quand le présent nous englue dans la noirceur.
Quand je pense à mon enfance au Liban, me reviennent les bombardements, les cauchemars, les angoisses, mais aussi les souvenirs de lecture. Le livre était à la fois un refuge et un espace de liberté. Un port d'attache et un voilier qui pouvait m'emmener loin, vers des horizons insoupçonnés. C'était mon ami le plus précieux. La lecture ne me consolait pas toujours, mais elle m'a donné de la force, m'a aidée à me construire et à croire en un monde meilleur.
Ces livres, qui ont été tant de lueurs d'espoir dans l'obscurité, ont pu arriver dans mes mains grâce à toute une chaîne de passionnés - auteurs, éditeurs, traducteurs, libraires, professeurs, bibliothécaires libanais - qui n'ont jamais baissé les bras, qui ont continué, coûte que coûte, à nous transmettre des récits qui aident à vivre et à se projeter dans l'avenir.
Cette chaîne de l'espoir a vécu tant de crises et de secousses, elle est consciente de ses fragilités, mais elle reste déterminée, persévérante, audacieuse, telle une luciole qui nous guide au cœur des ténèbres. Je suis heureuse que Livres Hebdo puisse lui rendre hommage à travers ce hors-série, pour que Beyrouth reste « le dernier sanctuaire où l'homme peut toujours s'habiller de lumière », comme l'écrivait Nadia Tuéni.
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