14 janvier > Roman Nouvelle-Zélande

Tenaces sont ces juvéniles sensations imprimées dans le corps, ce corps qui a vieilli depuis. Les Forrest d’Emily Perkins s’ouvre sur une scène de cinéma familial et amateur : le père filme une séquence rigolote avec une boîte qui se déplace - ses enfants sont censés marcher à quatre pattes sous la carapace de carton. L’herbe chatouille la joue, le sol égratigne les genoux… Dorothy surnommée Dot sort de la boîte, fait tomber Daniel qui se relève et s’échappe. Complicité de gosses se coursant sous l’azur de l’insouciance. Magie de l’écriture - ce qui, au cinéma, forcerait le réalisateur à choisir entre passé et présent, mémoire et actualité, nous est donné à vivre grâce aux mots de l’auteure néo-zélandaise de manière à la fois directe et elliptique. Au début de son roman, Dot a 10 ans, sa sœur Evelyn 11, la petite dernière Ruth 5, les garçons Michael et Daniel, 14, 13. A la fin du roman, c’est une vie qui a passé. Les Forrest, c’est la saga d’un clan un peu bohème et complètement fauché. Frank, le père, est le vilain petit canard d’une famille bourgeoise américaine sur le déclin, il ambitionne d’être comédien mais est contraint de quitter New York pour la Nouvelle-Zélande ; Lee est la mère sacrificielle et l’épouse groupie. La Grosse Pomme branchée est loin. Dorothy et sa fratrie n’auront connu au fond que ces provinciales antipodes, ils grandissent entre bourgade et nature et sont ballottés au gré des déménagements de parents poursuivis par les huissiers. Daniel est en vérité le meilleur ami de Michael, il est en permanence fourré chez eux, c’est comme un frère, quasi. Quand arrive l’adolescence il sort avec "Eve".

A la surface d’une tasse de thé trop infusé miroite une imperceptible pellicule irisée ; une haleine, un bras, une main laissent un vestige de chaleur. Par ces microdétails observés ou sentis, nous voilà entré dans l’intimité des personnages, on les suit de l’intérieur, ils vieillissent. Mais comme eux, on ne le voit pas. Au fil des pages, de nouveaux noms apparaissent, les enfants de ceux qui furent enfants. Comme un leitmotiv, les cartes postales de Daniel qui court le monde ponctuent les différents âges de la vie, rouvrent les plaies d’un grand amour perdu - celui d’Evelyn qui, entre sexe sans lendemain et bouteille facile, n’a pu oublier, ou celui de Dorothy qui, à l’insu de sa sœur, partageait ce séduisant faux frère avec elle. S. J. R.

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