L'Asie perd les eaux. Écrivain bourlingueur, Cédric Gras est géographe, homme de terrain et spécialiste du monde postsoviétique, notamment de l'Asie centrale. Il n'hésite pas non plus devant les défis physiques, notamment en montagne, vécus comme une libération par rapport à des sujets pas toujours joyeux. Ainsi, ici, traite-t-il du tarissement progressif et inexorable du grand fleuve Amou- Daria, qui abondait ce qu'on appelle la mer d'Aral, en fait un gigantesque lac, par conséquent en voie d'assèchement. Des dégâts incommensurables pour l'écosystème de cette vaste région du monde, les populations, l'économie, l'agriculture, et aussi, plus globalement, pour la planète. La mer d'Aral est passée, en un demi-siècle, de 68 000 km² à 7 000. Quand l'écrivain se fait lanceur d'alerte.
Car l'assèchement progressif de l'Amou-Daria, et, donc, de la mer d'Aral, est simplement dû à sa surexploitation par l'homme, pour des besoins d'irrigation, processus qui date de l'ère soviétique. En guise de plaisanterie grinçante, on dit dans la région que ce sont les « caleçons de Khrouchtchev » qui sont responsables de la catastrophe. Ils étaient en coton, l'une des productions phares de la zone avec le riz, et particulièrement gourmande en eau.
« Les quotas [de prélèvement de l'eau du fleuve], explique Cédric Gras, sont peu ou prou les mêmes que sous l'URSS et personne ne souhaite lâcher du lest. L'Ouzbékistan et le Turkménistan prélèvent 90 % du fleuve ! Le reste est utilisé en amont par le Tadjikistan et l'Afghanistan, où se trouvent les sources. Le total équivaut à 100 % et plus rien ne parvient jusqu'à la mer d'Aral. » Et de conclure : « L'Amou-Daria est un fleuve qui naît et qui meurt. Il est bu tout entier. »
Dans Les routes de la soif, récit au titre en forme de clin d'œil à la mégalomanie chinoise, Cédric Gras ne raconte pas un voyage linéaire, mais en synthétise plusieurs dans ces républiques en « -stan », qui ont largement conservé les mœurs soviétiques. En matière de contrôles, par exemple. Les Occidentaux, surtout munis de caméras et de drones (comme Christophe Raylat, le complice de Cédric Gras), n'y sont pas réellement les bienvenus. Les deux ont quand même remonté le cours de l'Amou-Daria à rebours, de sa fin dans la mer d'Aral à ses sources, au glacier Fedtchenko dans les monts du Pamir. Après avoir vécu des mois désertiques, le duo, rejoint par l'aventurier Matthieu Tordeur, s'est adonné aux joies de l'alpinisme, à plus de 7 000 m d'altitude.
Le récit de Gras est passionnant, enlevé, souvent drôle malgré tout, et on y apprend des choses absolument essentielles. Par exemple que Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, s'appelait autrefois Stalinabad !
Les routes de la soif. Voyage aux sources de la mer d’Aral
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Tirage: 5 200 ex.
Prix: 20,50 € ; 252 p.
ISBN: 9782234095618