Un carnet de faits divers comme un journal intime. Elle avait commencé le sien à l’âge de 7 ans. Trois ans plus tard, elle note "guerre de 39-45 : 6 millions de morts". Fin du carnet. A 10 ans, Mara Goyet ne recopie plus ces histoires à faire peur. Mais elle reste toujours attirée par ces faits divers qui ne font pas que diversion, comme le pensait Bourdieu. Dans la lignée de Barthes qui s’était intéressé à leur structure, elle poursuit l’analyse de ces incidents étranges dont nous aurions pu être les témoins ou les victimes car ils se sont le plus souvent déroulés près de chez nous. Avec un plaisir non feint, elle décortique ces récits en s’intéressant aux styles, aux lieux, aux personnages, aux périodes et aux objets qui les rendent fascinants.
C’est souvent l’été, quand l’esprit paresse et que les journalistes peinent à trouver des sujets, que le fait divers retrouve toutes ses chances. L’ordinaire devient alors extraordinaire, le banal se hisse au niveau du mythe, le quotidien est sublimé par la trouille. Et pour cela il faut un objet transitionnel, comme disent les psychanalystes, quelque chose qui signe le méfait, un objet qui le rappellera toujours : la cuisinière de Landru, l’œilleton avec lequel le docteur Petiot observait la mort de ses victimes, le piolet qui tua Trotski, le doigt coupé du baron Empain, la porte où est inscrit "Omar m’a tuer". La liste est inépuisable, du moulage de la main de Troppmann au congélateur de Véronique Courjault, et Mara Goyet ne se prive pas de s’emparer des plus représentatifs.
Dans ce livre précis, intuitif et plein d’esprit, composé de chroniques tenues sur France Culture et d’un article paru dans Le Débat, cette enseignante - elle est prof d’histoire-géographie - qui s’est fait connaître avec un livre sur notre système éducatif à bout de souffle, Collèges de France (Fayard, 2003), tente de saisir pourquoi nous sommes justement autant saisis par ces noires intrigues, pourquoi elles nous charment et pourquoi nous les lisons avec tant d’avidité.
Sans doute parce qu’elles fournissent aussi la matière de tant d’histoires aux romanciers et aux cinéastes, et pas seulement à ceux qui sont en mal d’inspiration. Duras, que Desproges qualifiait d’"apologiste sénile des infanticides ruraux", se prit les mots dans le tapis de la déraison à propos de l’affaire Grégory. Car les faits divers ne pardonnent pas. Des canards sanglants du XVIIe siècle aux chaînes d’information continue, ils nous renseignent sur les mentalités collectives. Pour Mara Goyet, qui rêve de leur voir consacrer un festival dont on ne reviendrait pas, ils permettent de nous orienter dans le monde moderne. Ils nous renvoient aussi à nos fragilités. Après tout, on peut considérer la vie comme un fait divers qui finit mal. Laurent Lemire