29 mai - 15 juin > philosophie du droit Italie - France

Le 16 juillet 1764 paraît à Livourne, en Toscane, Des délits et des peines. C’est "un coup de canon abolitionniste" pour reprendre l’expression de Michel Porret, spécialiste de l’auteur du brûlot philosophique Cesare Beccaria (1738-1794). Au chapitre XXVIII, "De la peine de mort", la question est posée : "Quel peut être le droit que les hommes s’attribuent de trucider leurs semblables ? Certainement pas celui dont découlent la souveraineté et les lois." Cet aristocrate lombard, associé aux Lumières milanaises - le cercle de l’Accademia dei pugni, l’Académie des poings, et le périodique Il Caffè animés par les frères Verri -, exhorte ainsi le législateur à n’avoir point recours au châtiment suprême. C’est "une absurdité que les lois, qui sont l’expression de la volonté publique, qui détestent et punissent l’homicide, en commettent un elles-mêmes, et que, pour éloigner les citoyens de l’assassinat, elles ordonnent un assassinat public." Mais Des délits et des peines, nouvellement traduit dans "la Bibliothèque de philosophie" chez Gallimard, est non seulement contre la peine de mort pour les crimes de droit commun (alors que Montesquieu et Rousseau sont pour), mais plaide aussi en faveur de "la douceur des peines". Principe de proportionnalité, peines de substitution, reconnaissance du contexte social (c’est la misère qui engendre le crime), abandon des supplices corporels (systématiques dans l’Ancien Droit)… Beccaria propose un changement de paradigme, une vraie refonte d’un système où la source de la justice n’était pas le droit inaliénable de l’individu mais la toute-puissance du prince. C’est un précurseur du droit pénal moderne. Edité en français dès 1765 par l’abbé Morellet et loué aussitôt par Voltaire qui voit en Beccaria un "frère en philosophie", ce traité pour la réforme pénale rencontre un succès immédiat chez les libres penseurs parisiens, influence Louis XVI qui abolira la torture. Mais il a également ses détracteurs tel Pierre-François Muyart de Vouglans, "l’anti-Beccaria", qui le réfute : "Le véritable objet de la Jurisprudence criminelle doit tendre, en général, plutôt à la rigueur qu’à l’indulgence" (1767). Le "moment Beccaria" et ses idées essaiment des Etats-Unis naissants de Jefferson à la Chine d’aujourd’hui, comme le montre le recueil d’essais, Cesare Beccaria : La controverse pénale (XVIIIe-XXIe siècle) aux Presses universitaires de Rennes. Entre répression et réhabilitation, le débat continue. Sean J. Rose

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