Orson Welles, Michelangelo Antonioni, Jacques Tati, Maurice Pialat (dont le Nous ne vieillirons pas ensemble vient d’être opportunément réédité chez Archipoche), on en passe et des sans doute tout aussi bons, on ignore parfois que les plus grands cinéastes ont souvent été tentés par les chemins de traverse du roman. On l’ignore d’autant plus aisément que la plupart du temps ces coups d’essai littéraires étaient loin d’être à la hauteur de leurs films. Le génie souffle où il veut mais pas n’importe comment…
C’est pourquoi il était permis de se montrer quelque peu circonspect face à l’annonce de la publication de Footlights, roman inédit du grand Charlie Chaplin qui, après le cinéma, la comédie, le music-hall et la musique, rajoute ainsi une corde à son arc. Finalement, c’est la modestie du projet, le fait qu’à aucun moment Footlights ne se prend pour ce qu’il n’est pas, qui fait tomber ces préventions. Qu’est-il alors ? Un scénario, ce qui n’est pas rien. Celui de l’un des plus beaux films de Chaplin, Lesfeux de la rampe, récit des amours crépusculaires du vieux clown Calvero avec Terry, la ballerine triste, adieu aux armes, aux larmes et à la jeunesse. Un scénario que Chaplin mettra plus de vingt ans à écrire, le reprenant sans cesse et l’abandonnant presque aussi souvent, le destinant avant-guerre à sa femme Paulette Goddard (et "l’adossant" à sa fascination pour Nijinski, le danseur devenu fou), le reprenant après pour Claire Bloom (qui sera, elle, la femme de Philip Roth) pour une romance sur fond de West End londonien de ses jeunes années. Un scénario qui sera d’abord un roman, donc, sans que l’on sache vraiment la raison pour laquelle Chaplin choisit cette forme. Si ce n’est peut-être pour y rendre un hommage fervent à Dickens et à son univers qui, toujours, l’accompagna.
Il faut donc féliciter les éditions du Seuil de s’être lancées dans cette aventure éditoriale pour un livre d’aussi belle facture. David Robinson, qui est sans doute aujourd’hui le plus éminent des "chapliniens", en assure la préface ainsi qu’une passionnante monographie autour de L’univers des Feux de la rampe occupant toute la deuxième partie du volume. C’est toute la généalogie du film de Chaplin, de toute son œuvre finalement, qu’il exhume sans cuistrerie. Voici Londres et voici l’enfance, voici la misère et voici l’espoir d’horizons lointains. Ceux - l’Amérique - que Chaplin s’apprête en ces années noires du maccarthysme, à quitter pour un ultime exil, sans espoir de retour. Dans ses bagages, le plus beau film du monde et ce petit roman, qu’il gardera secret. Pourquoi ? O. M.