Aux Etats-Unis, les super-héros ont encore la cote, mais voilà que Jen Beagin nous entraîne à contre-courant. D'abord à Lowell, une banlieue dans le Massachusetts. Un lieu qui ne fait guère fantasmer. « En sanscrit, Mona signifie seul. Pas de doute, c'est un nom qui me va drôlement bien vu que je me sens souvent comme une île solitaire. » Et pour cause, l'héroïne a grandi avec des parents disjonctés, qui l'ont confiée à Sheila, une tutrice assez libérée. Leur condition sociale ne leur offre ni ascenseur, ni leurres. Pas le choix, Mona doit gagner sa croûte. Elle fait des ménages. Dans la journée, elle travaille dans de luxueuses maisons. Ses patrons sont supposés incarner le rêve américain, mais à force de récurer les sols et les WC, Mona s'aperçoit qu'ils ont aussi leurs angoisses. « Je vois tout le vide qui remplit leur vie. » Elle qui respire la poisse n'hésite pas à leur piquer quelques grammes de Xanax ou de Valium.
Cette jeune femme esseulée, dépourvue de téléviseur comme de rêves se perd. Sa passion ? Passer l'aspirateur, afin de chasser l'étouffante poussière de l'existence. A la nuit tombée, elle plonge dans un autre univers : les camés de LA, à qui cette bénévole offre des seringues stériles. L'un d'entre eux attire particulièrement son attention. Monsieur Dégoûtant n'a pourtant rien pour plaire. Il erre, en artiste maudit, parmi ces ombres. « A la naissance, on est parfaitement équilibrés. Ce n'est qu'en ayant vécu que les choses commencent à se... dégrader. » Cet homme décalé,
totalement édenté, l'invite dans son cosmos. Celui d'un voleur de fleurs, écrivant des fragments de poésie. Il lui fait la cour, puis l'amour, en lui
lisant Hemingway, Kipling ou Tchekhov. Cette femme, invisible à elle-même, va renaître grâce à cet être singulier, qu'elle espère sauver. Mais Monsieur Dégoûtant rechute dans l'autodestruction, la drogue et la dépression. « Il voulait que les gens pensent qu'il était super coriace en tout, mais en dedans, il était tout tendre. Comme moi - un sensible. » Trop peut-être, puisqu'il s'en va en laissant une lettre inoubliable.
« L'odeur de l'espoir » renaît chez Mona quand elle comprend qu'elle doit changer d'horizon. Direction le Nouveau-Mexique, un désert où l'on peut tout recommencer. Quoique... Mona poursuit son métier en s'interrogeant sur le sens de sa vie. Elle s'adresse à Dieu, en l'appelant Bob. Ou songe à son père alcoolique, avec lequel elle n'entretient plus de liens. Les égarés, les déclassés de la société, les orphelins délaissés ou les personnages dévergondés croisent sans cesse sa route. « S'occuper des autres te détourne de tes propres problèmes. » Ainsi, Mona - l'artiste qui aime se photographier dans les intérieurs de ses employeurs - les décrit avec tendresse, ironie et loufoquerie. Un peu comme une galerie de mal-aimés, qui colorient la noirceur ambiante. Peu importe qu'on soit favorisé ou non, chacun a ses plaies et ses secrets. Jen Beagin a, elle aussi, été femme de ménage. Alors que son héroïne ne sort pas sans ses gants en caoutchouc, l'auteure n'en met aucun pour bousculer les lecteurs de son premier roman. Un Trainspotting au féminin !
On dirait que je suis morte - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy
Buchet-Chastel
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 20 euros ; 288 p.
ISBN: 9782283031797