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Livres Hebdo : Quel bilan tirez-vous de la stratégie de constitution de grands groupes d'édition cotés développée par l'État depuis le début de la décennie ?
Cheng Sanguo : L'édition chinoise, qui reste contrôlée par l'État, est bien plus concentrée qu'avant, même s'il y a toujours 560 maisons officielles, dont la moitié à Pékin. On compte plus de trente groupes dont la plupart, à l'exception du China Publishing Group [CPG, qui appartient au Parti communiste, N.D.L.R.], China Education, China Science, Citic et China Children, sont régionaux et contrôlent l'essentiel des maisons locales hors des presses universitaires. Tous disposent d'une position dominante dans leur région du fait du poids de la production scolaire, même si leurs titres sont distribués sur tout le territoire. Ils sont ainsi très dépendants de la politique éducative des régions. Récemment, le Hunan a réduit son soutien à un seul livre parascolaire par enfant, contre trois ou quatre auparavant, et China South a perdu une part importante de son chiffre d'affaires.
Quelles tendances observez-vous au sein du secteur ?
C. S. : Comme dans tous les secteurs économiques, le gouvernement met aujourd'hui l'accent sur la haute qualité des produits. Cette politique, qui s'incarne dans une limitation de la distribution des numéros d'ISBN, conduisant à une réduction de la production en titres, joue un rôle positif en amenant plus de qualité dans l'editing, le design et la fabrication. A la course à la nouveauté, les éditeurs substituent une exigence de qualité, quitte à rééditer en les révisant des titres déjà parus. Mais elle signifie aussi plus de contrôle, avec un impact sur la diversité. Les ateliers culturels privés (2), en particulier, éprouvent plus de difficultés à se procurer des numéros d'ISBN, dont le prix a quasiment doublé cette année.
Les « ateliers culturels » privés parviennent-ils à survivre ?
C. S. : Le nombre de ces ateliers, parmi lesquels Thinkingdom reste le plus important, est très difficile à évaluer d'autant qu'ils doivent toujours collaborer avec les maisons d'Etat pour obtenir des numéros d'ISBN ou distribuer leurs livres. Il y a encore cinq ans, ils pouvaient se débrouiller seuls. Aujourd'hui, la plupart ont été rachetés par de grands groupes. Shanghai 99 appartient à CPG via la Maison de littérature du peuple. Booky a été repris par China South. Ces filiales conservent une autonomie, mais dans le giron de groupes qui supervisent leur programme. L'essor du secteur privé ne se trouve pas facilité, mais il n'y a pas d'intention de l'éliminer car chacun sait ses entreprises plus créatives et plus innovantes.
L'organisation du contrôle de l'édition a également changé.
C. S. : C'est même le grand changement. La supervision de l'édition a toujours été assurée par le Parti communiste, mais, depuis 2018, le secteur relève directement, via le SAPP, de son service de communication alors que, précédemment, il dépendait d'un ministère, le GAPP. Cela signifie, certes, que l'édition est plus contrôlée par le parti, mais aussi que celui-ci lui apporte plus de soutien, notamment dans les médias.
L'édition subit-elle la guerre commerciale sino-américaine ?
C. S. : Le conflit se traduit par une priorité gouvernementale à l'édition académique, STM et SHS. Les groupes spécialisés dans ces domaines sont encore plus encouragés que les autres à vendre des droits, à exporter mais aussi à acquérir des maisons étrangères, comme China Science l'a fait en juin en reprenant en France EDP Sciences.
La distribution des livres sur le territoire s'est-elle améliorée ?
C. S. : Beaucoup, mais surtout du fait des plateformes de commerce en ligne : Dangdang, Jingdong, WeChat et, depuis l'arrêt d'Amazon cette année, Tao Bao et sa filiale TMail (plateforme utilisée en marque blanche par les librairies indépendantes et les chaînes), qui dépendent du groupe Ali Baba et ont pris la première place. Le commerce en ligne assure 60 à 70 % des ventes de l'édition généraliste (hors éducation).
Cela ne menace-t-il pas les très belles librairies qui apparaissent dans les grandes villes ?
C. S. : Le gouvernement a renouvelé sa politique de soutien aux librairies physiques. C'est un axe très important, prolongé par les gouvernements locaux, qui ont développé leurs propres lignes de subvention. La municipalité de Pékin, par exemple, a versé 550 000 euros aux librairies de la ville en 2018, et le double en 2019. Ces aides visent les librairies publiques comme privées, qui touchent d'ailleurs le plus. Elles les aident à payer leurs loyers, élevés à Pékin, à développer des animations, à s'équiper en nouvelles technologies. De son côté, en 2018, le gouvernement de Xian a donné 18 millions d'euros aux librairies de la province, où 1 000 nouvelles librairies ont été créées. Parallèlement, les profits des librairies augmentent fortement grâce aux activités connexes, à commencer par les cafés.