Le point de départ du Collier rouge est authentique : après la guerre de 14-18, le grand-père de Benoît Gysembergh - un ami photographe de Jean-Christophe Rufin, récemment décédé -, avait, sous l’empire de la boisson, commis un sacrilège anti-patriotique, qui aurait pu lui valoir d’être fusillé. Son petit-fils a raconté cette histoire à l’écrivain, lequel l’a mise en roman. Un récit puissant, qui met en question un certain nombre de valeurs : fidélité, loyauté, patriotisme, conscience, justice, et une sorte de tragi-comédie fondée sur un trio de personnages exceptionnels : le caporal Jacques Morlac, Légion d’honneur à Salonique en 1917, le commandant Hugues Lantier du Grez, juge militaire, et le chien Guillaume, un bâtard "tout cabossé".
Nous sommes dans une petite ville du Bas-Berry, à l’été 1919. Morlac est le seul détenu de la prison, gardé par le brave Dujeux. En face, sur la place écrasée de soleil, Guillaume hurle à la mort. L’ancien soldat, honorablement connu dans le coin et soutenu par une population meurtrie par la guerre, a été emprisonné et doit être jugé pour avoir, lors de la cérémonie du 14 Juillet, pris sa médaille et l’avoir épinglée au collier de son chien, en prononçant une parodie de citation !
Envoyé de Paris, le juge Lantier, un aristocrate qui en a beaucoup vu et ne va pas tarder à quitter l’armée, est chargé d’instruire le procès de l’accusé, de prononcer et de faire exécuter la sentence. La vie ou la mort de cet homme dépendent de sa seule responsabilité. Pour un homme de bien et de devoir, il existe une notable différence entre tuer un ennemi au combat, et condamner un compatriote, la paix revenue. Un héros, de surcroît.
L’officier, convaincu que Morlac dissimule les vraies raisons de son acte, va se faire détective, avec une conscience professionnelle infatigable et une réelle empathie, qui va croissant. Il remonte le fil des événements depuis avant la guerre jusqu’au 14 Juillet fatal, persuade Morlac, qui refuse au début de lui parler, de se confier petit à petit. Entre deux visites au prisonnier, il confesse les témoins, suit les pistes. C’est ainsi qu’il parvient jusqu’à Valentine, une Parisienne, fille d’un Juif allemand proche de Rosa Luxemburg et des Spartakistes, réfugié dans la France profonde. La jeune femme professe des convictions révolutionnaires, pacifistes, et, dans sa bibliothèque, on trouve Marx, Proudhon ou Kropotkine.
Trois auteurs qu’elle a fait découvrir à Morlac, son amant et le père de son fils, Jules - fruit d’une permission -, et qu’il emportera avec lui au front. Lectures "pernicieuses" : le jeune paysan se forge une conscience politique. Pour terminer la guerre, il faut que les soldats, français, russes, fraternisent avec les ennemis, allemands, turcs, bulgares, et déposent les armes. Un nouveau monde serait alors possible, inspiré de la toute jeune révolution russe de 1917. Un plan naît. Mais le chien Guillaume, offert par Valentine à son homme et qui l’a suivi jusqu’à Salonique, va tout faire échouer. Fidèle et loyal à son maître. C’est lui, donc, aux yeux d’un Morlac désespéré et amer, qui mérite vraiment la fameuse médaille !
Lantier parviendra-t-il à recoller les morceaux de ces vies brisées par la folie des hommes, ou bien obéira-t-il aveuglément au règlement ? C’est tout le suspense sur quoi repose ce beau livre.
Jean-Claude Perrier