Avant-critique Roman

Chloé Delaume, "Pauvre folle" (Seuil)

Chloé Delaume - Photo © Bénédicte Roscot

Chloé Delaume, "Pauvre folle" (Seuil)

Dans ce livre aux accents autobiographiques, Chloé Delaume compose, en féministe romantique, le récit intime d'une femme de 50 ans.

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Par Marie Fouquet
Créé le 17.07.2023 à 14h00 ,
Mis à jour le 17.07.2023 à 19h11

Une histoire commune et singulière. À l'aube de ses 50 ans, Clotilde part en train vers Heidelberg, en Allemagne, optant pour l'itinéraire le plus long possible. Au cours de ce voyage, carnet en mains, l'écrivaine décortique ses souvenirs et tire les fils de son histoire, entremêlant les temporalités et les différents « je » qui s'y déploient.

Il y a la scène originelle : la mère de la narratrice est morte devant elle lorsqu'elle avait 10 ans, tuée par son père avant qu'il ne se suicide, lui aussi sous ses yeux. Et il y a l'« affaire délicate », une récente histoire d'amour aussi intense qu'impossible. Entre les deux, la prostitution - c'est ainsi que Clotilde gagnait sa vie à 20 ans. L'unique fil qui a résisté à la perte brutale de sa mère, c'est la littérature. Avec elle, Clotilde a connu le plaisir (la jouissance !) du texte et les alexandrins. Ces derniers ponctuent d'ailleurs l'ensemble du récit, comme des apparitions révélatrices du lyrisme et du romantisme de la narratrice.

Derrière les traits de ce personnage, ceux de Chloé Delaume sont à peine dissimulés. Dans Pauvre Folle, son nouveau roman trois ans après Le cœur synthétique (Prix Médicis), l'autrice aborde l'histoire contemporaine à travers le récit intime d'une femme d'âge mûr qui se retourne sur elle-même et se confronte au passé. Ce livre pointe les tensions qui opposent les générations sur des questions liées au genre, à l'amour, à la sexualité, aux rapports hommes-femmes. « En laissant le pouvoir dans les seules mains des pères, cette génération se condamnait. Désormais la voilà jugée par la suivante. »

La misogynie n'échappant pas aux femmes, le concept de sororité, notamment développé par Chloé Delaume dans Nos bien chères sœurs (2019), est encore loin d'être répandu dans la société. Lorsque Clotilde apprend, quelques années après que son père a assassiné sa mère, l'existence du mot « féminicide », elle ne fait pas le rapprochement, refuse d'employer le terme. « Clotilde n'a pas voulu que sa mère rejoigne un long cortège fait de femmes et de filles sacrifiées sur l'autel du patriarcat. » Ne pas nommer équivaut à ne pas voir, et ainsi ne pas se reconnaître dans une histoire pourtant commune. C'est bien cela qu'explore Pauvre folle : des années 1970 - où la révolution sexuelle est censée avoir eu lieu - jusqu'aux années 2010 et le mouvement #MeToo, il y a un monde. Un monde dans lequel les représentations des dominations ont bien changé.

Ce texte fédérateur expose avec finesse les obstacles et les joies d'un féminisme libertaire et transgénérationnel, ne se méprenant pas sur les souffrances du passé, qu'elles appartiennent à l'histoire commune des femmes ou à la singularité de chacune d'entre elles.

Chloé Delaume
Pauvre folle
Seuil
Tirage: 25 000 EX.
Prix: 19,50 € ; 240 P.
ISBN: 9782021497724

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