Au départ, il y a une rencontre. Une vraie, c'est-à-dire inattendue et non sollicitée par un quelconque réseau social. Une rencontre non entre deux personnes, mais entre un homme et un album photo. D'un côté, Christophe Boltanski, prix Femina 2015 pour La cache (Stock), de l'autre 369 photomatons, 369 visages d'un même individu, rapidement identifié comme se nommant Jacob B'chiri. Les photos, toutes prises entre 1973 et 1974 sont recueillies dans un vieil album traînant aux puces, à la portée du premier venu agréant de se délester d'un euro pour en faire l'acquisition... Voici donc Boltanski, « propriétaire » d'un nom et de multiples visages (tant B'chiri s'ingénie à en changer de cliché en cliché), de lieux aussi, répertoriés au dos des photos : la Suisse, la France (Marseille, Paris...), Israël. Il est désormais récipiendaire d'un secret, celui de ce presque anonyme qui semble l'engager à travers le temps et les décennies à le retrouver voire à l'expliquer. Ce qui au départ devait faire l'objet d'un film, deviendra bientôt un livre, l'endroit le plus propice à la résolution - fut-elle factice - des énigmes. Qui était cet autoproclamé Jacob ? Un espion à la solde du Mossad, un farfelu, un mythomane, un doux rêveur ou un être seulement souffrant à la recherche de ses identités perdues ? Peu à peu, avec pas mal de volonté et beaucoup de chance, l'auteur va déchirer le rideau derrière lequel il a cru se cacher. Il n'y trouvera au fond qu'un certain nombre de nouvelles questions et reliant les fils de sa vie, quelque chose comme une infinie souffrance, où l'exil et la mélancolie occupent les places premières.
Jacob B'chiri est un héros typiquement boltanskien. On veut dire par là qu'il est essentiellement caché. Au regard des autres comme à lui-même. Jamais peut-être pourtant Christophe Boltanski n'avait été aussi proche de Christian, son oncle plasticien. Jamais la banalité des choses, des objets, n'avait chez lui autant flirté avec une immense recherche mémorielle. Les vies de Jacob est peut-être le plus abouti de ses livres, le moins strictement autobiographique, mais celui où il est au plus proche de sa vérité propre, d'homme et d'écrivain. Il règne sur tout cela une profonde mélancolie, venue des années 1970 et du destin de ces Juifs tunisiens jetés sur les chemins sans retour de l'exil, comme la réalité d'un récit qui va amener l'auteur, qui n'a jamais cessé d'être journaliste, vers des témoignages et le profil chinois de celui qu'il traque et qui semble par-delà les années et la mort l'encourager à le faire. Jacob, ses vies, c'est lui, c'est nous, c'est la littérature en habits d'enquêtrice.
Les vies de Jacob
Stock
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 234 p.
ISBN: 9782234087439